Encore une histoire de lait. Mais celle-ci c'est la nôtre !
Ma fille n'était pas encore dans mon ventre, que je savais déjà que je l'allaiterais.
Ce n'était pas un de ces choix qu'on le fait en toute conscience, en posant le pour et le contre, en lisant les bien-faits, et les recommandations. Non pas du tout.
C'était juste évident. Naturel. C'était comme si je n'avais jamais eu le choix. C'était la seule chose qu'on peut faire, quand on a un bébé, on lui donne le sein.
Je n'ai aucune photo de moi, aucun souvenir d'un autre bébé dans ma famille, avec un biberon. Chez nous, on allaite.
Elle est née. Il y a de ça 11 mois et quelques jours.
J'étais comblée, elle a rempli mon coeur.
Je voulais juste remplir son ventre...
Et puis, j'ai eu une montée de lait tardive à cause de tous les anti-inflammatoires qu'ils m'ont donné parce que césarienne.
Depuis trois jours elle perdait du poids, ce qui est "normal", mais quand on a un petit être entre nos bras comme ça, enfermée dans une chambre de maternité à voir passer 3 personnes différentes par jour à nous donner avis divers et variés... on se sent juste perdue. Isolée. Démunie. Du coup, je me suis enfermée. Mais en moi même, en nous.
Et je suis une tète de mule. On peut compter sur moi pour me braquer sur mes positions, surtout pour ne rien dire, et faire qu'à ma tête.
Je me suis dit : "C'est un bébé. Un bébé ça boit du lait qui sort du sein. Il faut juste qu'elle tète. Les autres je m'en fiche."
Et j'ai bien fait.
Pour une fois, dans ma vie. Absolument rien ne comptait plus qu'elle, que nous.
Il n'y avait pas de conseil ou d'avis qui pouvait pénétrer notre bulle. Le lait a coulé. Au bout de 4 jours. Non sans mal, mais nous nous sommes acharnées.
Je me souviendrais toute ma vie, de ce 3e jour, où elle a très peu dormi, et moi pas du tout, elle a tété presque 24h non stop.
Le lendamain c'était la fête. Il pleuvait du lait.
Au bout d'un moment j'en ai eu marre, j'en ai eu marre avant, mais au final, c'était bien de ne pas s'occuper des repas, du ménage, de me concentrer que sur elle. Sur le lait et sur elle.
Mais au bout d'un moment, j'ai dit "Hop, ça suffit. Je n'ai pas besoin d'être ici, je veux rentrer chez nous."
Au bout de 5 jours très très longs, nous nous sommes réveillés dans notre lit. A trois.
C'était là, le plus beau jour de notre vie. Je pense aux mamans qui ont vécu un AAD, quel pied ! Quel confort d'être chez soi, d'être véritablement en intimité. De se sentir à l'aise, et de maîtriser son environnement.
Les trois premières semaines, ce n'était pas "si facile", comme quand on voit les mamans, les seins parfaits, toutes jolies, coiffées, sentant le lait d'amande... avec des bébés qui tètent tout doucement, en s'endormant gentillement.
C'était différent. C'était douloureux. J'étais souvent grasse de lanoline. Les seins pleins, avec un bébé qui dort, et qui tète fort, qui tète longtemps.
Puis j'ai mal. Et j'évite de prendre trop de cachets, qui m'assoment... j'ai mal de la césarienne. J'ai mal de l'accouchement que je n'ai pas eu. J'ai mal à mes rêves de naturel. J'ai mal à la réalité compliquée.
Et j'ai les seins "usés". Jamais reposés.
Et puis, notre bulle a éclaté.
La famille s'invite une 1/2h, et reste la moitié de la journée.
Les parents débarquent pour passer 1 semaine.
Notre maison devient un arrêt de bus. Un lieu de passage. On enchaîne les hôtes.
Je ne me repose jamais. Jamais. Moi et mes seins. On est en vrac.
Punaise, elles sont où les personnes là pour rendre service ?
Les amis ont déguerpi. D'un côté, ils nous ont laissé tranquilles, mais bon...
La famille, passait toujours trop souvent, souvent quand il ne fallait pas, restait trop souvent.
"T'as l'air fatiguée, V."Nooooon... sans blague !
"L'allaitement, ça fatigue."En fait. Ce n'est pas l'allaitement qui fatigue. C'est tout le reste.
L'allaitement n'est pas l'intrus. L'intrus, ce sont toutes les autres aspects, tout ce qu'on attend de nous, alors qu'on vient de donner la vie, toutes les obligations, et personne pour nous entourer d'aide, de compréhension, d'écoute, de silence.
L'allaitement ça ne fatigue pas.
Ce qui est fatigant, c'est la nouveauté du nouveau né. La nouvelle vie. L'adaptation.
L'allaitement, c'est ce qui nous sauve d'être encore plus fatiguées !
Puis, voilà...
Au bout de trois semaines. Je ne sais pas comment, et pour dire la vérité, je ne me rappelle plus très bien...
Mais tous les petits aléas ont disparu.
Je n'avais plus mal. Elle était plus douce avec moi. On était toutes les deux moins "désespérées".
Et puis... il y a eu un truc pour nous aider, qui à ce moment là, a été le bienvenue, mais qui plus tard, deviendra un véritable problème : la tétine.
Avec la tétine. C'était finger in the nose.
Elle ne pleurait déjà pas beaucoup avant... avec la tétine, on l'entendait presque plus.
Ce qui devait être une petite béquille pour nous aider pendant le changement de couche, ou les moments un peu hard, est devenu un "indispensable".
Mais je reviendrai sur cette phrase...
Voilà. Ma fille a eu un mois.
Et en 1 mois, ces quatre semaine, elle n'a eu que mon lait. J'étais super fière. Je me suis dit "Punaise, je suis trop forte !"
Parfois elle s'étouffait... elle avait un peu de mal à téter... on avait du mal avec certaines positions.
Et moi, fière de ma "réussite", pensait qu'elle était trop petite "pour savoir boire correctement", que parfois tout le monde avale de travers, la pauvre, je la laisse se débrouiller toute seule comme une grande, ça va venir...
En fait... j'ai un REF ! La mère indigne ! J'en ai eu aucune notion de ça pendant un petit moment... malgré les jets de lait dès que je sortais mon sein du soutien gorge ! Dans ma tète, les seins sont pleins, c'est normal.
Mais... dans mon malheur... j'ai un bébé casse-cou-débrouillarde, qui ne demande d'ailleurs qu'une chose : à se noyer dans du lait !
Tant mieux, nous sommes toutes les deux sorties, dépatouillées, mouillées, mais on sait gérer, moi à pas faire grande chose, et elle à se débrouiller à téter plutôt assise que allongée.
Les engorgements s'enchaînent...
J'ai beaucoup de lait. J'en ai toujours plus que ce qu'elle a besoin. Même maintenant à 11 mois, je commence à peine à utiliser un peu moins de coussinets, pour ne pas être trempée en dehors de chez moi.
Et puis, je vais vous raconter maintenant, pourquoi j'écris tout ça.
Parce qu'au 1 mois de ma fille, j'ai commencé à tirer mon lait. Parce que reprendre le travail était une obligation, mais pas l'arrêt de l'allaitement.
Tout va pour le mieux.
Et voilà que je reprends le travail.
Et voilà que ma fille n'aime pas le biberon. Et comment lui reprocher ? C'est froid, ça n'a pas vraiment d'odeur, ça ne fait pas de bisous et de mamours, ça ne tient pas la main, c'est le lait de ma maman, mais moi je veux tout. Je veux la maman qui vient avec le lait. On va pas lui reprocher de ne pas comprendre...
D'ailleurs, très vite elle refuse catégoriquement avec moi, et ça devient un affaire de papa tout ça.
Et puis, la pression monte quand même le papa n'arrive pas.
Les premières semaines au travail, elle buvait du lait à la pipette de d*liprane. Un peu de force, pour ne pas courir le risque de se déshydrater.
"Donner lui de force ce biberon" qu'ils ont dit !
"Enfonce-le dans son gosier, tu verras, elle va pleurer les premières fois, après c'est bon.
Et puis tu arrêtes toute de suite avec le sein, tu donnes que du lait tiré. Ce sera mieux pour tout le monde, et c'est déjà énorme 3 mois."
"C'est pour ça que je n'ai pas allaité, moi. C'est trop de soufrance, c'est limite de la maltraitance là. En plus, tu lui en as donné beaucoup trop. 1 mois aurait suffit, là, ça fait trois."Bon... comment dire gentillement aux gens d'aller se faire #"§%*£#&@# ?
J'ai avalé ma rage. Et mes angoisses avec. Je suis têtue. Comme il n'y a pas d'autre moyen, il faut bien que celui là marche.
La papa a été LE PAPA à ce moment là.
Trois fois il m'a empêché d'aller acheter du lait parce qu'il n'y avait plus rien dans le frigo, et j'étais trop creuvée pour tirer, et puis rien ne sortait... et puis même si je sortais quelque chose, elle ne buvait rien. Le cycle de l'angoisse.
Il me laissais me reposer, littéralement rien faire d'autre que de m'occuper de tirer du lait. Lui aussi il fait partie de ce lien lacté. C'est la troisième chaîne, la boucle qui boucle.
On a donc retrouvé notre bulle.
Et les efforts payent petit à petit. Des petits riens, mais qui illuminent une vie. Qui apportent la paix, et qui nous permettent d'avancer, à notre rythme.
Au plus haut, ma fille prendra au biberon vers ses 4/5 mois, 150ml par repas.
Puis, quand elle a eu 7 mois, elle s'est encore plus affirmée, la diversification avait déjà commencé, et on n'avait plus la pression... elle a donc abandonné d'elle même définitivement le biberon, pour ne jamais reprendre ne serait-ce qu'une goute sans hurler d'horreur.
Un chemin qui n'a pas été facile pour nous, mais nous sommes fières d'avoir respecté ses sentiments, son émotions, son envie, sa personne. Et je suis fière de son père, qui a été la personne qui a géré pratiquement seul tout ça. Je n'avais qu'à tirer mon lait... le reste, c'était lui. Le reste, c'était le plus gros ! Et en écrivant ça, j'ai vraiment des larmes aux yeux de me rendre compte que ma fille a un tel père. Elle a beaucoup de chance.
Puis revenons à la tétine "indispensable".
Avec la prise du biberon, elle a commencé à faire une confusion sein/biberon/tétine.
Les tétées sont devenues chaotiques, le tout mélangeant le REF... Un peu avant ses six mois, nous avons pris une semaine de congés, et étant tous les deux disponibles, nous avons pris la décision d'arrêter la tétine.
Nous avons vécu une guerre pendant 3 jours. Cela m'a beaucoup rappelé le début de l'allaitement.
3 jours. Désespérés. Des journées longues, déchirées, des nuits courtes, terrifiantes de pleurs. Des tétées en larmes.
Puis, au 4e jour. Miracle. Une journée dans le bonheur, des tétées calmes, une nuit tranquille. C'était là, son premier sevrage. Celui de la tétine.
J'éspère le seul qu'elle subira de sa vie, car celui de la tétée, elle peut se rassurer, il est à elle. Elle s'est assez battue pour l'avoir, je ne lui enleverai pas si elle ne le fait pas naturellement.
Aujourd'hui, quand je ne suis pas là, elle boit mon lait (si elle veut), dans un verre à bec, ou dans un verre normal avec l'aide de son père.
Elle boit de toutes petites quantités. Mais elle s'est toujours rattrapée la nuit, et dès que j'arrive.
Si je tire alors que ça fait plus de 3/4h qu'elle n'a pas bu, je tire jusqu'à 300ml les deux seins. Un truc de folie ! Et les dernières journées au travail, je revenais avec un 1/2L en deux tirages, qui finissent dans le congèl, parce que mademoiselle n'aime pas trop finalement si ce n'est pas frais...
Voilà, maintenant 10 mois après, pour ses 11 mois, j'ai rendu le tire-lait à la pharmacie.
Avec un pincement au coeur, de me dire, que mon bébé a grandit, qu'elle va avoir 1 an. Que j'aimerais bien en tirer encore un peu, mais quand je reprendrai le travail après les vacances, elle aura 1 an, et je n'ai plus 1h supplémentaire, qui a été salvatrice de cet allaitement, pour tirer mon lait, pour me reposer, pour penser à elle en regardant ses photos, pour lire les mots de mamans qui font comme moi pour me motiver, pour garder un lien lacté. Je suis sa mère, je suis son lait.
Voilà, ce droit là, si court, mais si précieux, est fini.
Et puis, il faut dire la vérité, il est devenu un peu pesant pour moi. Le tirage. Pas l'allaitement.
Le tirage c'est donc fini.
Mais l'allaitement, ce sont les moments volés, légers, arrachés du temps, surpendus, où on se regarde dans les yeux, et que je me dis, sûre de notre lien, que cette histoire est encore bien loin d'avoir une fin.
Puis, j'ai passé longtemps à écrire ceci, et je fini mes derniers mots monomain, avec ma fille au sein. Quoi de plus parlant !
Merci à vous toutes, qui m'ont souvent aidé, qui m'ont apporté des vrais conseils, pour vos retours d'expériences que j'ai si souvent lu, et qui faites aussi partie de ce lien d'amour et de lait frais !