C'est un peu long mais ça vaut le coup de lire jusqu'au bout! (tellement long qu'il me faut deux messages !
)
Coordination Française pour l’Allaitement Maternel
Le 08 Janvier 2007
Communiqué de la CoFAM
A la fin de la Semaine Mondiale de l’Allaitement Maternel en
octobre, et à l’initiative de mères, a été organisé une « Grande tétée » en public, rassemblement de femmes allaitantes dans plusieurs grandes villes de France. Tous les médias en ont fait un écho positif et ému, sauf Mme Arrighi qui a écrit, dans le journal « Libération », des propos
ironiques sur cet évènement. Cet article a provoqué un vif débat entre les lectrices et le journal. Puis, fin novembre et toujours dans « Libération », Mme Rotman a élargi la discussion avec ce « sacro-sein allaitement » qui culpabilise certaines mères.
En tant que président de la CoFAM, le Dr Marc Pilliot a
souhaité réagir pour sortir le débat des passions irrationnelles et pour le tirer vers plus de sérénité et de tolérance. Vous trouverez ci-joint la lettre ouverte qu’il a adressée aux journalistes et à la rédaction du journal. Certes, elle est longue, mais il s’agit d’un sujet trop vaste pour
être traité en quelques lignes.
Avec nos salutations distinguées,
Le Comité d’Administration de la CoFAM
Janvier 2007
* CoFAM : Coordination Française pour l’Allaitement Maternel 1
** Label décerné par l’OMS et l’UNICEF
L’allaitement maternel est beaucoup plus qu’une simple histoire de sein ou qu’un sujet de nutrition
Lettre ouverte à « Libération »
Dr Marc PILLIOT, Président de la CoFAM *
Clinique Saint Jean de Roubaix, Label international « Ami des Bébés »**
Le 23 octobre dernier, vous avez publié un article ironique, voire sarcastique, sur « la Grande Tétée » (1), rassemblement de mères allaitantes en public, dans plusieurs villes de France, à l’occasion de la Semaine Mondiale de l’Allaitement
Maternel (SMAM). Ce reportage a provoqué de vives réactions de la part de mères « choquées », « déçues », « atterrées » par les propos de votre journaliste. Toutes
ces réactions reflétaient bien le « ras-le-bol » de toutes ces femmes qui sont raillées, stigmatisées, blessées parce qu’elles allaitent plusieurs mois. En France, contrairement aux autres pays d’Europe, pour allaiter plus de 3-4 mois, il faut devenir
une véritable « pionnière ». Comme pour faire le contrepoint, vous avez publié le 30 novembre un article sur « le sacro-sein allaitement » (2), pour témoigner sur ces mères qui subissent des pressions sociales ou médicales pour continuer d’allaiter alors qu’elles sont en difficulté avec leur allaitement.
Enfin, le 26 décembre dernier, vous avez publié «Réapprendre l’allaitement » (3), réactions de deux médecins épidémiologistes qui apportent un regard scientifique sur
ce sujet. Vous avez ouvert là un débat essentiel qui pourrait permettre enfin de parler du corps des femmes, de nos croyances personnelles face aux certitudes scientifiques,
des enjeux de Santé Publique, de la liberté du choix individuel, de la puissance de la publicité, de la perte de nos repères avec les jeunes nourrissons…
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles n’allaitent pas !
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles veulent allaiter et qu’elles n’y arrivent pas (le plus souvent à cause des conseils inadaptés donnés par les professionnels) !
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles allaitent longtemps !
Pauvres pères, que la perte des repères machistes et simples d’autrefois oblige, en tâtonnant, à réinventer leur rôle et à oser être « paternant » !
Pauvres soignants, qui sont souvent perdus dans cet imbroglio d’idées personnelles et de connaissances scientifiques mal digérées !
Pauvre Société, qui est toujours dans la Mesure, la Normalité, la Performance !
Il n’a jamais été écrit nulle part qu’il était simple d’être parent, et cessons de faire croire qu’il existe des parents parfaits.
En tant que Président de la CoFAM, je souhaite alimenter ce débat qui a malheureusement commencé de façon passionnelle. Nous sommes dans une culture de non-allaitement depuis des siècles et cela nous vaut une des dernières places en Europe. Il est temps de sortir des stigmates, des diktats, des sarcasmes, de
l’irrationnel.
Pour commencer, corrigeons les erreurs trouvées dans votre article « La Grande Tétée » (1) :
Ce rassemblement s’est organisé à l’initiative de mères, sans le « soutien actif » de la CoFAM. Celle-ci a seulement transmis l’information, comme elle le fait pour toute action réalisée dans le cadre de la SMAM. Ce n’est pas seulement La Leche League qui préconise d’allaiter au moins jusqu’à deux ans, mais bien l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et
toutes les Sociétés savantes de Pédiatrie (française et étrangères): « allaitement exclusif jusqu’à six mois, puis avec une alimentation diversifiée jusqu’à deux ans ou plus ». Cette recommandation scientifique est réfléchie et directement issue de la connaissance des bénéfices santé pour le bébé et
sa mère.
Eh oui ! Comme vous l’écrivez, « on ne compte plus les articles qui vantent les bienfaits de l’allaitement ». Et pourquoi devrions-nous ne pas le faire, après des décennies de mutisme sur le sujet ? Les fabricants de lait artificiel ne se gênent pas pour vanter leurs produits qui sont pourtant beaucoup moins performants. Rappelons que la poudre de lait provient du lait de vache modifié ou de protéines de soja et
qu’elle n’est pas stérile. Alors oui, les bénéfices santé sont nombreux (4,5) : le souligner, ce n’est pas culpabiliser les mères, c’est juste dire les choses comme elles sont et faire de
l’information.
Le lait maternel est un produit biologique, vivant, évolutif qui véhicule des nutriments adaptés, mais aussi qui possède de nombreuses propriétés biologiques (cellules diverses, enzymes, facteurs de croissance, hormones,
etc…). La croissance en poids et en taille de l’enfant au sein est spécifique et identique quelles que soient les variations génétiques et l’origine ethnique.
L’allaitement diminue l’incidence et la gravité de nombreuses maladies infectieuses, virales et bactériennes, y compris dans les pays industrialisés. La protection est d’autant meilleure que l’allaitement est exclusif et prolongé.
L’allaitement maternel a aussi un effet protecteur sur le risque d’obésité chez l’enfant et l’adolescent, sur le risque de malocclusion dentaire, sur la pression artérielle et la cholestérolémie de l’adulte. Pour la prévention de l’allergie, les
études sont contradictoires. Pour le développement cognitif, des études avec correction des biais éventuels montrent un bénéfice d’environ 3 points de quotient intellectuel (6,7) : cela reste bien sûr très modeste sur le plan individuel, mais c’est très intéressant à l’échelle d’une population.
Pour la mère, les bénéfices de l’allaitement sont notables : diminution des infections post-partum, perte de poids plus rapide, protection contre les cancers du sein et de l’ovaire, prévention de l’ostéoporose.
Enfin l’ocytocine, régulièrement larguée dans le cerveau maternel lors de l’allaitement, joue un rôle dans la modulation des comportements de la mère avec diminution de l’anxiété, du stress et de la réactivité aux émotions négatives. Cela renforcerait ainsi un climat émotionnel favorable à la mise en
place de la relation mère-enfant (8,9).
Mais, en fait, la notion de tous ces bénéfices de l’allaitement n’est pas fondamentale pour le choix d’une mère. Ce n’est pas sur ces arguments-là que l’allaitement sera vraiment choisi et ce n’est pas cela qui permettra de faire un allaitement prolongé.
Nous développerons ce point plus loin. Par contre, ces
arguments sont fondamentaux :
1. Pour les professionnels de santé, afin qu’ils soient convaincus que l’allaitement est bénéfique pour l’enfant et sa mère, comme ils sont assurés que le tabac est délétère et que l’alcool est dangereux pour un foetus. Etant convaincus, ils
seront plus enclins à faire le nécessaire pour se former et pour mieux informer les parents. Pauvres soignants qui réalisent que l’allaitement est bénéfique, mais qui n’ont pas la formation pour en parler objectivement aux parents ! Les
exemples et les témoignages que vous citez montrent l’incompétence des professionnels qui entouraient ces femmes.
2. Pour les instances de Sécurité Sociale et pour celles de Médecine du Travail, pour les convaincre de tout faire pour aider une mère qui allaite. Arrêtons d’ennuyer les médecins qui choisissent de faire un prolongement de congé de
maternité pour faciliter la poursuite de l’allaitement.
3. Pour les Pouvoirs publics enfin, car l’allaitement est un véritable enjeu de Santé Publique, du même ordre que la prévention de l’obésité, du tabagisme ou de l’alcoolisme. A titre d’exemple, il serait préférable de prolonger le congé
maternité pour éviter d’exposer des nourrissons de deux mois et demi dans des crèches où ils risquent d’attraper une bronchiolite, toujours grave à cet âge-là.
Par ailleurs, cette mesure profiterait aussi aux bébés nourris au biberon. Dans la même optique économique, les Pouvoirs publics devraient savoir que le nonallaitement est source d’appauvrissement pour les familles : des études montrent que cela entraîne une dépense familiale d’environ 1800 euros et une dépense nationale de santé de l’ordre de 150 millions d’euros par an (10,11) ; des études nord-américaines retrouvent le même impact financier (12).
Le soutien de l’allaitement par les Pouvoirs publics, avec la publication de documents dans le cadre du PNNS (Programme National Nutrition Santé), est nécessaire et très utile, mais il faudrait plus que de simples intentions. La formation initiale des professionnels est pratiquement inexistante (une heure
de cours pendant les études médicales) alors qu’elle devrait être obligatoire, comme il est imposé, pour devenir médecin, sage-femme ou puéricultrice, de connaître certains gestes de soins et d’avoir des notions élémentaires sur la nutrition, les vaccinations, la prévention de certaines pathologies, etc… Cette formation devrait être fondée sur des données scientifiques actualisées et non pas sur de vieilles croyances.
Quant à la formation continue, elle ne devrait pas être laissée au bon vouloir de chacun, ni au bon vouloir des directeurs d’hôpitaux ou de cliniques. A ce niveau, il existe déjà des organismes très compétents : leurs actions devraient être soutenues et officialisées.
En fait, notre société est mal à l’aise avec l’allaitement maternel et oscille toujours entre l’ingérence et l’abstention :
L’ingérence, au point de ne pas être à l’écoute des mères et/ou des parents comme dans les cas soulignés dans votre article du 30 novembre.
L’abstention, sous le prétexte hypocrite de respecter la liberté d’autrui (ne culpabilisons pas les mères qui ne souhaitent pas allaiter), mais qui ressemble plutôt à une démission devant l’isolement des familles dans les grands centres urbains, devant la méconnaissance du corps et de ses sensations, devant la méconnaissance des rythmes et des besoins de proximité du bébé, devant la mode qui fait choisir dans un sens ou dans un autre sans réfléchir à ce que cela implique. Démission enfin devant les stratégies commerciales des fabricants de laits artificiels dont les moyens financiers sont très supérieurs à ceux de la Santé Publique.
Dr Marc Pilliot Lettre ouverte à « Libération » Janvier 2007
Tout se complique en France avec le féminisme à la française, type Simone de Beauvoir, qui proclamait que la maternité est une aliénation de la femme.
Cessons de croire que l’allaitement éloigne les femmes de la vie publique et professionnelle. Les études dans l’Europe du Nord montrent le contraire (13). Et si la pratique est difficile, c’est que l’allaitement maternel est beaucoup plus qu’une simple histoire de sein ou qu’un sujet de nutrition (14).
Parler d’allaitement, c’est aussi parler de la sensualité, des émotions, des hésitations, des ambivalences vécues au travers de cette relation mère-enfant qui se cherche et qui s’établit à des rythmes variables. Dans l’allaitement, la mère est rapidement confrontée à des vagues d’émotion et aux réminiscences de sa propre histoire, aux croyances et aux valeurs de son entourage. L’allaitement est un acte réellement
intime qui peut projeter, comme pour l’accouchement, dans notre « animalité ». Certes il s’agit d’un acte « naturel », génétiquement programmé comme chez tous les mammifères, mais chez les humains, c’est aussi un geste imprégné de sens, de fantasmes, de souvenirs, de valeurs, de « Culture ». Allaiter, c’est accepter qu’un « bébé se love, touche et pose sa bouche sur le sein », c’est « oser s’abandonner et se laisser faire » (15). « Téter, c’est comme un bisou » dit une maman que vous citez. Et le lait vient d’autant mieux que la maman a de la patience et qu’elle sait lâcher prise. C’est un corps à corps intime, ce sont deux corps qui s’adaptent l’un à l’autre
dans un climat biologique et émotionnel. C’est en cela que l’allaitement est aussi un chemin initiatique vers la connaissance de soi, de son corps et de ses émotions, mais aussi vers la connaissance de son enfant. L’allaitement plonge donc la mère (et le père) dans toutes les ambiguïtés de la parentalité. Pour certaines mères, le biberon peut être un moyen de se protéger de cet afflux d’émotivités, parfois trop difficiles à gérer. A l’inverse, pour d’autres femmes, l’allaitement prolongé peut être une manière de se protéger des émotions négatives (grâce aux effets de l’ocytocine). Ainsi certaines mères peuvent choisir d’allaiter un de leurs enfants et pas les autres. Les motivations sont toujours très personnelles et très intimes. On comprend mieux ainsi que le choix d’une mère, le choix des parents ne peut se faire seulement avec des arguments scientifiques de bénéfices-santé. En fait, une maman choisit d’allaiter tout
simplement parce qu’elle en a envie.
Mais, dans notre société, tout est fait pour que le choix soit difficile. On demande en effet aux parents de choisir quelque chose qu’ils ne connaissent pas et sans qu’on leur donne une information juste, objective, non passionnelle. Dans ces
conditions, choisir l’allaitement, c’est un peu comme « partir vers une destination inconnue », avec des renseignements imprécis et contradictoires. Le choix n’est pas vraiment libre, face aux pressions sociales et culturelles pour utiliser le biberon rapidement.
Par ailleurs, pour réussir un allaitement, la maman a besoin d’être en confiance : en confiance avec elle-même et avec son bébé, en confiance aussi avec son entourage familial, social, culturel. Or comment être en confiance dans cette
société qui dépossède la femme de son corps pendant toute la grossesse et pendant l’accouchement ? La médicalisation excessive donne l’impression à beaucoup de femmes d’être un vase sacré ou, pire, une « bombe ambulante » : il faut faire ceci ou cela, ou à l’inverse ne pas faire, il faut subir pléthore d’examens pour dépister les pires choses. On n’en fait pas tant dans les autres pays d’Europe qui ont de meilleurs
résultats en périnatalité. Et que fait-on si on découvre une anomalie ? On continue « d’agir » sans se soucier des dégâts psychoaffectifs que cela peut provoquer, voire des dégâts sociaux avec perte de repères. Combien de femmes sont fustigées parce qu’elles refusent une amniocentèse ?