Aujourd'hui j'ai ressenti le besoin impérieux d'écrire leur récit de naissance, avant d'oublier des détails et des images. Et ça m'a fait un bien fou! J'espère que le papa fera de même, il souffre vraiment de ne pas avoir été présent.
Et j'espère que mes enfants pourront le lire quand ils seront plus grands
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Jeudi 14 août 2014. Je suis à l’hôpital depuis 6 jours, pour une fuite d’une des poches des eaux et une suspicion d’infection que les médecins n’arrivent pas à trouver. Je ne m’attends absolument pas à cette naissance, pourtant elle a été envisagée dès mon arrivée, on m’a parlé plusieurs fois de l’éventualité qu’ils naissent, j’ai vu la gynéco qui a évalué leur poids, l’anesthésiste qui m’a parlé de la césarienne, le pédiatre qui a évoqué leur début de vie en service de réanimation néonatale, les sages femmes qui me répètent « allez, on a tenu un jour de plus ! c’est super pour eux ! » etc…. J’entends bien la situation mais je fais une sorte de déni, je reste convaincue que ce n’est pas pour maintenant, la fuite va se colmater, je vais rentrer à la maison pour quelques semaines et ils naîtront à l’hôpital prévu ! Il me reste à vivre beaucoup de choses encore, l’écho des 32 SA, je n’ai suivi aucun cours de préparation à la naissance, je n’ai pas fait ma valise, et surtout je ne suis pas prête dans ma tête bref il me manque minimum 1 mois et demi de grossesse !
Chose curieuse je dors une bonne partie de l’après-midi, alors que je n’avais jamais réussi à fermer l’œil en journée. Mon corps savait déjà peut-être qu’il devait de préparer à une grosse épreuve dans les heures qui suivent. L’interne gynéco vient me voir après ma dernière perfusion de Tractocile, produit qui permet d’arrêter les contractions. On a gardé ce produit le temps de trouver la cause, il y a une infection visible dans les résultats d’analyse mais ils n’ont pas réussi à trouver quoi. On ne peut pas garder ce produit plus de 48h, si le travail débute on ne pourra pas l’arrêter.
Maintenant il faut attendre et croiser fort les doigts pour que les contractions se tassent, que tout revienne à la normale.
Sitôt l’interne sortie, je sens une grosse contraction, bien douloureuse dans le dos. Là je me dis « c’est psychologique » et ne dis rien à futurpapa, déjà super anxieux sur la tournure des évènements.
Il est 18h30. On essaie de se détendre tous les deux, on discute avec en fond la télé allumée, branchée sur les Championnats d’Europe d’Athlétisme. C’est l’épreuve de javelot, on la regarde d’un œil et pile au moment où un javelot touche le sol, je sens la poche qui se rompt complètement ! Pas le temps d’analyser la situation, les contractions arrivent dans la foulée, bien douloureuses, bien longues et surtout déjà bien rapprochées ! La sage femme tente de me faire le monitoring, l’interne vient avec l’échographe : impossible les contractions sont trop rapprochées, pas le temps de souffler. L’interne arrive tout de même à m’examiner, regarde la sage femme d’un air inquiet et lui dit à voix basse « le col est effacé, la tête est là ».
On part pour le bloc. On m’explique que l’on va faire une césarienne, les bébés sont trop petits pour naître par voie basse. J’essaie de gérer ces contractions mais elles sont si douloureuses que je n’arrive à pas à souffler correctement, je n’arrive pas à me concentrer alors je me déconnecte, la suite des évènements est un peu flou. Je sais que futurpapa a du rester à la porte, on lui a assuré qu’on viendra le chercher… il restera 1h30 à faire les 100 pas dans le couloir, sans nouvelles, sans savoir si on allait bien. De mon côté je sens l’urgence de la situation, l’équipe s’agite autour de moi, mais chaque personne prend le temps de se présenter et de me dire un petit mot. On me met en position assise pour la pose de la rachi-anesthésie.
« Madame le travail est bien avancé, on va tenter de vous poser la péridurale. Si on voit que ça prend trop de temps, on sera obligé de faire une anesthésie générale »
Nooooooon pas ça ! Je ne veux pas manquer leur naissance, je sais que je supporte très mal le réveil, tout mais pas ça !
L’anesthésiste se tient prête derrière moi, une infirmière devant qui me prête ses mains à broyer. Il faut que je fasse le gros dos, que je tienne assez longtemps pour la pose. Mais les contractions se font encore plus intenses (c’est possible ça ??) j’entends la gynéco qui me dit « Surtout SURTOUT ne poussez pas Madame ! » « Noooooon je pousse paaaaaaaas ». Et cela plusieurs fois. Je reste concentrée « Pas l’anesthésie générale, il faut que je tienne » je sens que l’anesthésiste n’y arrive pas, le stress monte…. Elle me dit « Je retente une dernière fois ! » et c’est bon, c’est passé !
On m’allonge, on tend le drap, on me maintient les bras en croix, on me badigeonne de bétadine, la gynéco râle « l’aide soignante n’a pas rasé ? » ben non c’était pas prévu… Tout va très très vite, mais je ne sens plus les contractions, et petit à petit c’est tout mon bas du corps qui disparaît.
Et c’est parti. Les sensations sont très étranges. C’est comme si on jouait au flipper et au bowling dans mon ventre, ça cogne, ça bouge, ça tire mais je ne ressens rien. Le temps me paraît très long… Je leur parle intérieurement une dernière fois.
« Le premier bébé est né ! S’il ne pleure pas il ne faut pas vous inquiéter… » et là j’entends V. pleurer ! Et moi avec !
A. naît 2 minutes plus tard. On m’explique qu’ils vont passer du temps avec les pédiatres pour voir si tout va bien. Au bout d’un moment une sage femme s’approche de moi « Vos bébés vont bien, ils font tous les deux 1290 grammes, c’est un très très bon poids ! » Je donne leurs prénoms, ça y est, c’est du concret !
Après l’opération je passe dans le couloir on me présente rapidement mes enfants. V. est intubé dans sa couveuse on m’explique qu’il a été comprimé dans mon ventre, dans la foulée on me présente A. qui respire normalement, je lui fais un bisou sur la joue mais tout ça reste irréel, ça dure 1 minute mais j’ai le temps de me dire « ils sont beaux ! » et de penser « ils ont le même nez ! »
Jeunepapa me rejoint en salle de réveil au bout d’1/2 heure, je le vois près de la porte il attend qu’on lui donne une blouse une charlotte et des chaussons. Je vois le bonheur sur son visage, il s'impatiente avec le sourire. Finalement la gynéco est venue le chercher pour l’amener les voir, il a pu les accompagner dans le service de réanimation et passer un peu de temps avec eux. On commence à partager notre vécu à chaud, il me répète que j'ai été très forte, que j'ai fait du super boulot et deux enfants magnifiques. Il fera beaucoup d’aller-retour entre ma chambre et leur chambre, je retiens l’image de super papa tout fier leur amenant mon 1er tirage de colostrum au fond d’un biberon. Le 1er repas, à défaut de leur donner moi-même.
Je ne reverrai V. et A. que le lendemain en fin d’après-midi. Toutes ces machines, ces bips et ces capteurs sur de si petites choses me fendent le cœur. C’est très dur, je ne peux aller les voir sans pleurer avec ma culpabilité, mais en même temps il faut que je le fasse.
Passés ces deux premiers jours, le moral remonte. Ils sont nés, ils sont là et vont bien. Evidemment je me demande sans arrêt ce que j’ai pu faire, ce que j’ai pu manger qui a provoqué cette infection, si c’est vraiment elle qui a entraîné l’accouchement, si c’est juste la poche des eaux qui s’est rompue sans raison ? Evidemment jusqu’au jour de leur terme prévu je me dirai sans arrêt qu’ils auraient été mieux dans mon ventre, au chaud, sans avoir à respirer, digérer, rechercher du réconfort. Mais je n’ai pas envie de broyer du noir pendant 6 semaines. Bien qu’ils soient dans ces incubateurs, branchés, perfusés etc… c’est un vrai bonheur de les voir, les toucher, croiser leur regard, interagir avec eux. Ils n’ont que 12 jours mais ont tellement évolué depuis, les améliorations bien que lentes sont réelles, et nous espérons très fort que ça continue comme ça jusqu’au moment où ils rentreront à la maison.
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merci de m'avoir lue
l'anecdote de l'athlétisme à la télé peut paraître sans importance mais je garde fortement ce souvenir de la poche qui se rompt comme si elle avait été percée d'un coup! V. est surnommé depuis "notre petit lanceur de javelot"