La voilà enfin !
Je la raconte à ma fille, en ayant conscience que les souvenirs sont très subjecifs, je lui raconte sa naissance, que j'ai vécu comme magnifique, à travers mes yeux :
Ton papa t’avait donné rendez-vous à Pâques.
Dimanche 24 avril, nous y voilà. Comme fait exprès, c’est ce matin là que mon corps décide de se « mettre en marche ». Nous nous éveillons et des contractions montrent le bout de leur nez à partir de 9h… toutes les 5 min ! Impossible de passer à côtés, elles sont vraiment très fréquentes, je les sens bien, mais elles ne sont pas encore douloureuses. Après plusieurs jours de calme plat, je suis toute excitée de les retrouver, et en si grand nombre. Nous sommes à 5 jours de la dpa.
J’ai très envie d’aller me balader, zhom m’a promis une promenade. Nous nous rendons donc sur un chemin, et nous marchons durant au moins 1h30, observant chaque contraction. (Ton papa tiens absolument à connaitre l’écart entre chacune d’elles avec moi, alors je vais les réciter toute la journée.) Nous y croyons, c’est peut-être le début.
Mais elles s’espacent, toutes les 10 min, puis toutes le 20, puis plus rien. Mais elles reviennent ensuite. Et s’en vont de nouveau.
De quoi faire tourner la tête de jeunes parents tout impatients de faire la rencontre de leur petite puce… Elles font leur retour, pendant que nous dinons à la lumière des bougies, devant Le discours d’un roi, cette fois-ci plus intenses et toutes les 10 à 15 min.
C’est à ce moment là que je vais être sûre que ton voyage commence ma chérie.
A 23h, je perds une partie du bouchon muqueux. Je ne savais pas du tout à quoi cela pouvait ressembler, à vrai dire je n’y pensais plus avant ce jour là, mais ce ne pouvait être que ça.
Je me dis qu’il est peut-être temps de faire ce que je redoute un petit peu depuis le début de la journée : déranger notre sage femme en plein week end de Pâques… peut-être apprendre qu’elle est parti ou qu’elle accompagne déjà un des nombreux accouchements qui la réclament.
Il est tard, mais il faut que je la prévienne, il faut que je sache aussi si elle est disponible. Je l’appelle donc et, avec sa douceur habituelle, elle prend des nouvelles, me dit qu’elle attend mon prochain coup de fil, lorsque je voudrais qu’elle vienne.
Ouf, c’est un soulagement, même si j’avais décidé de te laisser faire comme tu le sentais pour ton arrivée, ma puce, je suis contente de savoir que C sera là, que nous serons à la maison pour faire naitre notre fille.
Aux anges, heureux et amoureux, nous finissons tranquillement le film. Je trouve une robe en coton, légère, pour pouvoir être à l’aise tout en restant couverte. Je te câline à travers mon ventre, ce ventre tout rond que je n’aurai bientôt plus. Zhom prépare le nid, il installe bâches et draps sur le lit et le canapé (qui est en position relax), met en évidence le matériel médical, sort l’appareil photo et en prends même quelques unes avant que nous n’allions nous coucher…
Là, lundi 25 avril 2011, entre deux contractions, je suis toute excitée, capable de discuter et de raisonner. Pendant une contraction c'est autre chose, nom d'un petit bonhomme, je pousse les murs ! Et ce n’est pas une image… J'ai bien tenté de me mettre au lit mais la position allongée ne va pas du tout !
Cela explique que je me sois relevé au milieu de la nuit pour tourner dans le salon, faire un petit tour sur l’ordinateur. Je laisse ton papa se reposer... J’essaie d’en savourer chaque seconde, de sentir tout ce qu’il se passe.
A 4h30, je décide de réveiller mon pilier, j’ai besoin de lui et j’ai besoin qu’il demande à C de venir. Les contractions sont de plus en plus intenses, de plus en plus fortes. Lorsqu’une survient, je ne peux plus parler, je ne peux donc appeler moi-même, même si le « vrai » travail n’a pas encore commencé.
Il commencera d’ailleurs seulement une fois que C sera bien là. Elle est arrivée vers 5h30, et J, une élève sage femme que nous avions rencontré et qui souhaitait assister à un accouchement à la maison, est arrivée ensuite. Je me suis laissée entrer dans le travail probablement vers 6h30. Elles avaient vérifié ton rythme cardiaque et il était parfait. Alors tout était parfait.
A partir de là et jusqu’à ton arrivée, je perds la notion du temps, mes souvenirs sont des flashs d’images, des sensations. Mon regard est à l’intérieur. Chaque contraction est comme une vague qui te rapproche de la terre ferme. Elles sont douloureuses oui, mais elles ne restent pas, elles passent, et je suis capables de les laisser passer sans être submergée. Trois personnes sont autour de moi pour m’épauler. Ils me guident vers des sons graves, des heures durant, ce chœur de vocalises va raisonner tout au long du travail. Ils me permettent d’orienter cette puissante énergie vers le bas, de ne pas me crisper, de laisser couler le volcan à l’intérieur, sans paniquer jamais.
Autre chose m’apaise énormément : la main de mon amour au creux de mes reins. La sienne seulement. Chaude, forte, grande et immobile. Je la voulais immobile. C tente de prendre le relai quelques fois en son absence mais sa main est trop différente, bien plus petite, fraiche et en mouvement. Je me souviens être en train de lui dire « non non », et de pousser doucement (il me semble que c’était doucement ?) sa main.
A chaque explosion, j’ai besoin de stabilité, d’appui. Pas de mouvement. Ah si, lorsque je suis debout, je piétine, mais mes mains sont bien posées, contre un mur ou sur le bureau, et appuient. J’ai aussi besoin de la pénombre : le travail a commencé dans le noir, et au petit matin C me demande si je n’ai pas envie que nous fermions les volets, j’allais justement le leur demander après m’être aperçue, en soulevant les paupières, qu’il faisait jour.
Nous avons tenté d’apaiser la douleur sous la douche aussi, avec l’eau chaude sur le bas du dos. Il m’a déjà fallu du courage pour rejoindre la cabine, et là mon chéri s’occupe de moi (encore) mais je guide sa main : le jet doit être à une certaine distance, à un certain endroit, sinon cela empire la douleur, me déconcentre. J’y reste le temps de quelques contractions (aussi parce que j’attends de trouver le bon moment pour avoir le temps de me rhabiller et de foncer à nouveau sur le canapé, avant la prochaine.
Zhom est vraiment mon point d’encrage. Sa présence m’est indispensable, et je m’en rends surtout compte lorsqu’il doit s’absenter, ce qui est très rare et très court, mais je le vis comme un réel manque. Dès lors qu’il s’éloigne, je me retiens, je ne veux pas avancer sans lui. La douleur devient plus forte, je panique plus vite. Même si je n’ai plus voulu être touchée lorsque la poussée a commencée.
Etrange sensation, cette poussée. C voit juste lorsqu’elle me dit « tu devrais bientôt sentir une envie de poussée au bout des contractions, parfois ce sera uniquement des contractions, mais ensuite, dans un moment, elles laisseront place aux poussées uniquement ». Alors viennent ces contractions, suivies de cette poussée surprenante qui s’exprime oralement avec des sons, des cris, plus aigus tout à coup, plus forts, incontrôlés et une respiration plus rapide, et intérieurement avec ce besoin de faire avancer mon bébé.
J’ai la sensation de la pousser à l’arrière. Yannick me fait sentir à quel point le sacrum est gonflé, je crois même qu’ils pouvaient te sentir bouger à cet endroit.
A aucun moment je ne regretterai d’être à la maison, de ne pas avoir de péridural. Même au cœur d’une contraction. Je ne veux pas bouger, je ne veux surtout pas devoir me rendre à la maternité maintenant.
Plus que la douleur, ce qui devient un peu plus difficile à gérer c’est la fatigue. On m’avait pourtant prévenu : accoucher c’est fatiguant. Ah oui en effet. J’aurais peut-être du essayer de dormir ne serait-ce qu’un petit peu cette nuit, malgré l’excitation et les contractions gênantes… non je n’y serais pas parvenu, c’est sûr. Alors j’étire mes jambes, une par une, pour les soulager et faire disparaitre les fourmillements. Mais il arrive un moment où elles ne me portent plus. J’ai besoin de m’allonger. C me dit que l’on peut essayer, que la douleur a changé avec l’avancement du travail, ce ne sera donc peut-être pas aussi inconfortable qu’au début. Alors je me love contre mon chéri et repose mon corps. A chaque contraction qui pointe le bout de son nez je retrouve le quatre pattes. Et entre deux je m’affale, je devine même que je m’assoupis parce que les filles sont allées manger en cuisine sans que je ne m’en rende compte. Mais chéri est là, il s’endort et se réveille avec moi. Il continue les vocalises, sans faiblir, sans se lasser. A cet instant je pense qu’il accouche avec moi.
A son retour dans le salon, C m’encourage à changer de position régulièrement pour faire avancer le travail. Ainsi je serais passée par les positions accroupis, accrochée à mon chéri ou appuyé sur le ballon ou encore au dossier du canapé, à quatre patte, à genou, debout, assise sur les jambes de Zhom… et chaque changement aide mon bébé à progresser vers la sortie. Et il est nécessaire que je t’aide. La poussée dure longtemps.
Je ne sais plus vers quelle heure la poche des eaux a commencé à se fissurer, et le liquide chaud à couler, moment à partir duquel des allaises vont me suivre partout. Jamais nous n’avons vérifié l’état du col. Ce n’est que vers la fin seulement qu’on regarde à l’intérieur où tu en es dans ton avancé. Tu restes plusieurs heures dans le bassin. (Je peux te toucher à l’intérieur… c’est tout mou.)
Ton rythme cardiaque a diminué à un moment, je l’ai lu sur le monitoring que C faisait régulièrement. Là elle voit que je m’inquiète et me dit « mêle toi de tes… ». En gros, elle était en train de m’expliquer qu’il n’y avait rien d’inquiétant et que je pouvais me concentrer sur ta naissance sans me préoccuper de la machine. Plus tard, il me semble qu’on regarde l’heure. J’y associe à une poussée trop longue. Imaginer un transfert me donne toute la motivation nécessaire pour donner toujours plus, puiser jusqu’au plus profond toutes les forces qui s’y trouvent, et je donne de plus en plus.
J’ai compris après qu’ils avaient regardé l’heure, non pas parce que cela durait trop (impression vécu seulement par ton papa et moi en fait, mais selon les sages-femmes pour un premier accouchement cela n’a pas été si long), mais en prévision de ton arrivée qu’ils pensaient imminente. Malgré tout ce seront encore plusieurs heures qui nous attendront.
J’enchaine d’avantage les changements de positions dans l’après-midi. Tu avances. Je pousse fort. Je sens une brulure, ça y est. Avec un petit miroir, nous pouvons te voir, petite bosse blanche ! Tu es tout près. Il faut que je pousse encore d’avantage. Tu es bientôt là. Ton papa va pouvoir te prendre dans ses bras. Cela fait des heures qu’il attend… des semaines, des mois en fait. Je veux te voir mon bébé, te rencontrer, te bisouiller. Je pousse de toutes mes forces, le plus longuement possible. Je reprends les « ooooh », qui sont devenus des « AAAaaaAaaah » (j’ai l’impression de hurler à tel point que l’on peut m’entendre dans tout le quartier mais on me dit que ce n’est pas si fort), et j’essaie de les maintenir longtemps comme on me le demande et cela m’aide à pousser plus efficacement. On me dit que c’est très bien, que tu es presque là.
La brulure se fait extrêmement vive. Le gant d’eau chaude ne la calme plus, mais cela n’a plus d’importance, ta tête est en train de passer. Je suis à genou, les bras sur le dossier du canapé. C est derrière, pour t’accueillir. Ton papa, à ma droite, tout près, me soutient comme jamais, et te voit sortir. Je ne peux pas te voir mais je te sens : ta tête est sorti, je marque un temps de pose, je me dis que tu as peut-être besoin de te tourner, puis en une dernière poussée, je te sens glisser hors de moi, naitre. Ma chérie tu es née, nous t’avons mise au monde, il est 16h22.
Je n’ai plus mal, du tout, je veux voir mon bébé mais je suis toujours à quatre pattes et tu es derrière, entre mes jambes, toujours accrochée à ton cordon qui palpite. Je me tortille dans tous les sens pour essayer de t’apercevoir. C me dit « je vais te la faire passer devant, tu vas pouvoir la voir » et hop, ma petite puce, te voilà sous mes yeux. Oh mon bébé, mon petit bébé, comme tu es belle, je n’en reviens pas ! Et ooh tu es blonde ! J l’avait suggéré pendant la poussée et nous en avions rit, mais si, tu es blondinette. Est-ce vraiment de moi que tu sors ? Tu es magnifique, tu rayonnes. Et si paisible ! Tu as bien fait un petit bruit en sortant, mais tu ne pleures pas, tu es toute calme. Toute curieuse et éveillée aussi, tu nous cherches du regard.
Ton papa pleure de joie, d’une émotion si intense, nous sommes bouleversés de bonheur. Oh ma chérie, Aléna !
Après t’avoir simplement essuyée pour que tu n’attrapes pas froid, je te prends en peau à peau (et tu vivras ainsi dans nos bras durant deux jours), nous nous embrassons, nous nous serrons dans les bras, tous les trois. Tu es là petite fleur, tu as éclos chez nous et tout va très bien ! Tu vas même trouver le sein pour téter.
Les sages-femmes se font discrètes mais sont là pour m’aider à t’allaiter… et il ne faut pas oublier le placenta. J’ai senti légèrement glisser à l’intérieur, mais il n’est pas encore sorti. Nous ne sommes pas inquiets du tout, cela ne fait que quelques dizaines de minutes je crois. Nous attendons que les contractions reviennent, et je me redresse, et flop le voilà qui glisse. C’est vraiment la délivrance, surtout celle du sacrum. Je suis impressionnée par sa taille. C vérifie qu’il est complet, ce qui est le cas, puis nous le montre et nous explique. Nous choisissons de le garder pour l’enterrer (et faire une solution iso placentaire avec de petits morceaux). Elle m’examine rapidement, je n’ai que de petites éraflures, on peut ne pas recoudre me dit-elle, « alors laisse, c’est parfait, ne touchons plus à rien. ».
La seule chose que nous sommes capable de faire à ce moment là, c’est t’admirer, mon trésor. C prononce quelques descriptions mignonnes comme « ah oui, elle est belle la fontanelle » ou « quel délicieux strabisme ». Cela me fait sourire encore aujourd’hui. Tous seront unanimes, même plus tard : tu ressembles beaucoup à ton papa.
Que nous sommes bien, là sur le canapé, tous les trois, blottis. Dehors, un orage se fait entendre. Nous avions pensé, avec ton papa, qu’accoucher pendant un orage serait magique ! Il est là qui gronde, annonçant, haut et fort, ta venue au monde.
Quelle merveilleuse journée !
Les animaux ont été vraiment calmes et discrets : la petite chienne s’est réfugiée dans notre chambre, la grosse est restée tout près dans son panier, les chats ont parait-il un petit peu tourné autour de nous mais je les ai à peine aperçu.
Avant qu’elle ne s’éclipse en cuisine (pour remplir les papiers ?), je lance « C, merci pour tout ! ». Je lui suis tellement reconnaissante de nous avoir permis de vivre ce jour si particulier. Elle semble réellement heureuse pour nous et se montrera toujours très douce avec nous, avec toi pendant tes soins. Elle te laissera le temps de débarquer : tu es pesée quelques heures après ta naissance (3,480 kg) et mesurée plusieurs jours plus tard (52,5 cm et 35,5 cm de périmètre crânien). Mon beau bébé !
Accueil 
) et quel beau boulot de vous deux!!! un vrai travail d'équipe !
