Alerte aux césariennes inutiles
Par Yann PHILIPPIN
Le Journal du Dimanche, 7 decembre 2008
Malgré les risques pour les mères et leurs nouveau-nés, le taux de
césariennes a doublé en vingt ans (20,1 % des naissances l'an dernier,
contre 10,9 % en 1981). Une étude de la Fédération hospitalière de France
dénonce la hausse des interventions "non médicalement justifiées", ainsi que
ses écarts "difficilement compréhensibles" entre les établissements.
Enquête.
Trop de femmes accouchent par césarienne alors qu'elles auraient pu donner
naissance par voies naturelles. C'est la conclusion inquiétante d'une étude
de la Fédération hospitalière de France (FHF), que le JDD publie en
exclusivité. La hausse continue des césariennes (20,1 % des naissances l'an
dernier, contre 10,9 % en 1981) "pose problème car elle n'est pas
médicalement justifiée", assène la FHF. Selon l'étude, cette incision de
l'abdomen et de l'utérus serait de plus en plus utilisée comme "un facteur
de l'organisation des naissances", et peut-être même pour "optimiser les
coûts de production".
La FHF, qui regroupe les hôpitaux publics, s'appuie sur les écarts
"difficilement compréhensibles" entre les établissements. Le taux de
césariennes des 559 maternités (*) de niveau 1 (qui prennent en charge les
grossesses les moins risquées) varie en effet de 9,3 % à... 43,3%!
"L'Organisation mondiale de la santé estime que le taux optimal est de 15%
environ. Il est normal qu'il y ait des différences entre établissements,
mais au-delà de 25% on peut se poser de sérieuses questions. Et au-delà de
30%, on n'est plus dans la bonne médecine, c'est certain. Le fait d'avoir un
taux de césariennes raisonnable est un critère de qualité très important,
tant pour l'établissement que pour la santé des femmes", indique Damien
Subtil, chef du pôle obstétrique du CHU de Lille.
La crainte des procès
Pratiquée à bon escient, la césarienne sauve des vies. "Mais cette
intervention bénéficie d'une très bonne image alors qu'elle comporte des
risques", déplore Paul Sagot, chef du pôle obstétrique du CHU de Dijon. Les
enfants nés par césarienne ont ainsi plus de problèmes respiratoires car
leurs poumons n'ont pas été "essorés" par le passage à travers le vagin. Ils
sont également davantage sujets à l'asthme. La mortalité de la mère est 3,5
fois supérieure en cas de césarienne, même si ce taux reste très faible
(environ 1 cas sur 10.000, toutes naissances confondues).
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a
recommandé dès l'an 2000 de privilégier autant que possible l'accouchement
par voies naturelles. Le taux de césariennes a pourtant continué à
progresser de 1,4% entre 2002 et 2007. Cette hausse continue s'explique en
partie par des raisons médicales, comme la multiplication des grossesses
tardives. La très controversée étude Hannah, qui recommande la césarienne
lorsque l'enfant se présente par le siège (la tête en haut), a également
joué un rôle.
"L'un des paramètres les plus importants est la crainte des procès: on vous
reprochera de ne pas avoir fait de césarienne, jamais l'inverse", explique
Philippe Descamps, porte-parole du CNGOF. Vu les lourdes sanctions infligées
par les tribunaux (prison avec sursis et indemnités qui se chiffrent en
millions d'euros), les praticiens ne veulent plus prendre de risques. "Un de
mes collègues a été attaqué par une patiente, puis disculpé. Mais il a eu
tellement peur qu'il s'est mis à réaliser des césariennes injustifiées",
témoigne un obstétricien lyonnais. Cette crainte est particulièrement forte
dans le privé, où les praticiens doivent souscrire leur propre assurance
(25.000 euros par an en moyenne).
Césariennes "de convenance"
Il existe également des facteurs moins avouables. "La césarienne peut être
utilisée pour concentrer les naissances lorsqu'il y a davantage de personnel
et limiter les gardes de nuit et du week-end", indique Pierre Lesteven,
conseiller médical de la FHF. Les cliniques seraient-elles plus tentées par
ces pratiques? L'étude de la FHF montre qu'il y a 21,5% de césariennes dans
les maternités privées de niveau 1, soit un point de plus que dans les
établissements publics de niveau 3, qui accueillent pourtant les grossesses
pathologiques. "Nos établissements n'ont aucun intérêt financier à pratiquer
les césariennes, puisque cette intervention est sous-rémunérée à hauteur de
347 euros", réplique-t-on à la Fédération hospitalière privée.
"Nous ne voulons pas stigmatiser les cliniques mais dénoncer la rémunération
à l'activité qui incite les établissements publics comme privés à réduire
leurs coûts", assure Pierre Lesteven. "Le taux de césarienne des
obstétriciens est très lié à leurs conditions de travail", ajoute Paul
Sagot, du CHU de Dijon. C'est ce qui explique les "dysfonctionnements"
constatés dans nombre de petites maternités, où les médecins sont débordés
et où les gardes ne sont pas assurées sept jours sur sept.
Les obstétriciens constatent enfin une hausse des césariennes "de
convenance". "Ces femmes, qu'on trouve surtout dans les milieux favorisés,
veulent éviter de souffrir, de courir le moindre risque ou souhaitent
préserver leur vie sexuelle", diagnostique Philippe Descamps, du CNGOF. Il
se montre d'ailleurs pessimiste. "Je ne pense pas qu'on arrivera à faire
baisser le taux de césariennes: entre la crainte des procès et la demande
des femmes, nous sommes pris dans un engrenage."
(*) Pratiquant au moins 200 accouchements par an.
Césariennes : les 100 établissements visés
http://www.lejdd.fr/societe/divers/cesariennes-accouchements.html
Les cliniques de défendent
http://www.lejdd.fr/cmc/societe/200849/les-cliniques-se-defendent_170627.html
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