mamanoé Habituée
Nombre de messages : 2150 Age : 41 Localisation : sud de la france Date d'inscription : 28/12/2008
| Sujet: hyperliberphilie Mar 3 Mar 2020 - 12:49 | |
| coucou les filles, je ne sais pas si vous savez, mais j'écris de temps à autres, quand je prends le temps devant moi. Bon, vu la longueur générale de mes messages ça n'étonnera personne je pense ! héhéhéhé
donc, je voulais vous partager celui-là, écrit il y a peu, un jour ou j'ai entendu une jeune femme se questionner sur son envie d'avoir un enfant sans trop changer de mode de vie...
bisous à vous !
Je l’ai porté dans mon corps depuis toujours. Bien avant de pouvoir l’expliquer ou mettre un mot dessus j’ai su que je ne pourrai pas entrer dans la vie par les portes d’entrées généralement indiquées. Durant mes premières années, la chose s’est tenue silencieuse et j’ évoluais comme une petite fille quelconque. Ce n’est que lorsqu’on m’a envoyé sur les bancs de l’école qu’elle s’est brutalement manifestée : vomissements répétés, tics, éruptions cutanées, hypersomnie, énurésie. En réalité, je souffre d’ Hyperliberphilie dans sa forme sévère. Autrement dit, il semble que je sois venue au monde avec un besoin de liberté pathologique chevillé à l’âme. Si aucun cheval n’aime le frottement du licol sur son cou, c’est pour certains d’entre eux une brûlure au delà du supportable. Vomir sous le poids de la contrainte, ne jamais comprendre comment font les autres enfants pour ne pas jouer, parler, ou manger quand ils en ont besoin, paniquer à l’idée de se noyer dans un moule, voilà le mal méconnu avec lequel j’ai dû apprendre à vire. Comme si j’y pouvais quelque chose, on m’a expliqué à maintes reprises avec plus ou moins d’agacement que je ne pouvais pas toujours faire ce que je voulais. La contrainte faisant partie de la vie, je devrais en passer par là pour faire ma place en ce bas monde. J'entendais bien les mots, mais me trouvais incapable de terrasser l’esprit d’indépendance qui s’ébattait en moi. Je voulais bien des contraintes, mais seulement quand j’étais capable d’en avoir envie. J’ai essayé, à m’en rendre malade, de faire ce qu’on attendait de moi sans jamais réussir à me renier d’un iota. Loin de me rebeller, je déclinais lentement dans mon coin. Moins on me laissait suivre mon propre tempo, plus mon hyperliberphilie prenait des formes violentes pour me rappeler à l’ordre de mes priorités, jusqu’à menacer d’utiliser ma propre main pour mettre fin à mes jours. Dans le fond, il m’aurait juste fallu de l’air, beaucoup. De la lenteur et du temps pour penser et dormir quand j’en avais besoin, et mille chose à faire quand j’en avais envie. A défaut de pouvoir me défaire de mes travers j’ai entrepris en grandissant de construire un avenir dessus, au détriment de la stabilité et de la sécurité qu’on m’avait indiqué comme étant les axes à suivre pour donner une valeur à mon existence. J’ai laissé les études sur le bas côté avant d’avoir eu l’occasion d’échouer pour entamer ma vie d’adulte en funambule autodidacte, marchant sur le fil de la liberté sans chercher à savoir, surtout, où il me mènerait. Arrêter de lutter contre moi-même fut ma plus grande libération et je me promettais de ne jamais me mettre de chaîne au pied. Je me suis découverte grande amoureuse de rencontres éphémères, de départs précipités, de projets lumineux dont je posais les premières pierres avant de passer le relai à d’autres, dès lors que la routine commençait à s’installer. Pourtant, une petite partie de moi s’étaient mise en branle depuis mon quinzième anniversaire et travaillait dans un autre sens. Un petit rien, qui chaque mois me rappelait un peu plus fort que j’étais née fille, et qu’au fond de moi brûlait un utérus désireux de servir à quelque chose. Cette aspiration allait à l’encontre même de la bonne évolution de ma pathologie et soulevait d’intenses questionnements. Me vouer à la vie d’un autre alors que la mienne semblait déjà régie par la dictature de mes propres désirs paraissait difficilement conciliable.
Je n’ose imaginer ce que peut provoquer l’annonce d’une grossesse non désirée chez une Hyperliberphile. Pour ma part rapidement convaincue du bien fondé de la démarche, le passage à l’acte n’eut rien de douloureux et fût même, si ma mémoire est bonne, accompagné d’un orgasme mémorable. Faire cohabiter ces deux extrémitées de moi promettait d’être un travail de chaque instant, mais j’étais devenue une femme de défi. J’allais prouver au monde que l’on peut devenir mère sans s’entraver et ne pas considérer l’élevage de sa progéniture comme un unique projet de vie.
Durant huit mois deux semaines et trois jours, j’ai regardé mon ventre pousser avec adoration et beaucoup d’anxiété, me demandant régulièrement si cet enfant allait tenir de moi. Puis je me rattrappais, m’excusant des ondes liberticides particulièrement novices que j’étais déjà en train de lui envoyer au travers de la peau de mon ventre, rectifiant le tir, lui répétant à haute voix qu’il aurait bien le droit d’être qui il voudrait, que ce n’était pas moi, jamais, qui pourrais lui demander le contraire, mais qu’il devait comprendre que j’avais mes fragilités, mes besoins d’évasion, et qu’il ne devrait pas m’en vouloir de le laisser parfois, de ne pas toujours être à la hauteur, ou plutôt si, bien sûr, il aurait le droit de m’en vouloir, parce que je ne serai peut-être pas la mère poule dont il rêvait, mais j’allais faire de mon mieux pour le prendre comme il serait, et j'espérais qu’il ferait de même. Ca faisait rire son père, qui quelques années plus tôt il avait accepté de partager un bout de chemin avec moi, me laissant aller où bon me semblait à condition que je revienne. Spectateur amusé de mes angoisses, il promettait solennellement de ne pas me laisser suffoquer seule au milieu d’un tas de langes sales. Au fil des mois cet immatériel bébé prit d’abord des allures de poire, puis de melon, de pastèque, avant de rapidement dépasser les limites de toute comparaison avec un fruit existant. Mon nombril vivait des heures de tension extrême, et lorsque j’en parlais à la sage-femme qui s’occupait de nous, elle m’avertit que bientôt, il allait tomber. Elle avait dit ça en souriant, comme pour me faire marcher.
L’idée d’être enfermée dans un hôpital où l’on me dirait comment m’y prendre m’étant inenvisageable, nous avions décidé qu’il naîtrait chez nous. Ainsi me sentirais-je libre de faire tout un tas de choses étranges sans me sentir observée par des inconnus. Ce matin de mai, j’ai souffert au delà de l’imaginable. Jamais je n’aurais soupçonné que la douleur puisse atteindre de telles proportions. Après avoir râlé, crié, sué, poussé, j’ai repoussé et mordu mon homme, frôlé le malaise, et, à bout de souffle, j’ai découvert le sommet d’un petit crâne un peu difforme, glissant et maculé de sang, que la sage femme vint poser sur mon ventre. Immédiatement habitée par l’irrationnelle conviction que je venais de vivre un moment de grâce, c’est à cet instant que je pense avoir irrévocablement perdu les pédales, et le contrôle de ma vie.
Je me trouvais soudain amarrée à quelqu’un. Je ne pouvais pas parler d’amour à ce moment là, car l’amour, je crois, se construit sur des souvenirs communs que nous n’avions pas encore. Comme si le cordon qu’on avait coupé à sa naissance persistait encore à nous lier, j’évoluais dans un périmètre restreint autour de lui. Mes pieds refusaient que je m’en éloigne, et le poser ailleurs que contre moi déclenchait d’inexpliquables crises de tachycardie. Pour m’éviter un infarctus prématuré et retrouver ma liberté de mouvement, je me mit bientôt à enserrer nos corps l’un contre l’autre dans une large bande de tissu, ne laissant dépasser que sa tête entre mes seins, qui, comme mes cernes, avaient pris des proportions inquiétantes. Je n’eus plus le loisir d’être seule un instant, mais au moins pouvais-je à nouveau circuler où bon me semblait sans craindre de mourir. En chemin pour concilier mon besoin d’indépendance et mon travail de parent, j’étais particulièrement fière de cette trouvaille. On m’avait raconté qu’un tout petit bébé dort en moyenne dix-huit heures par jour, mais on avait omis de préciser que la plupart ne s’y adonnent qu’au contact de leur mère. C’est un détail dont j’aurai aimé être informée avant de m’en rendre compte par moi-même, car ainsi aurai-je pu mesurer d’avance les dégâts irréversibles de l’arrivée de cet enfant. Mais peut-être alors aurai-je pris peur, peut-être n’aurai-je pas franchi le pas. En vérité, il est une foule de détails que les mères gardent pour elles seules. Des secrets qu’elles ne partagent qu’entre affranchies, comme si la pérennité de notre espèce reposait sur l’accord tacite qui existe entre toutes les mère du monde de ne jamais révéler aux autres femmes ce qu’est réellement la maternité. Peut-être sentons-nous au fond que si nous parlons, l’espèce cèssera à se reproduire. Par exemple, on ne prévient jamais les futures mère que leur bébé sera peu après sa naissance envahi de boutons d’acnée sous l’effet d’une mystérieuse et précoce montée d’hormones, que sa peau pèlera, que son crâne se couvrira de croûtes jaunâtre. Au point où en est le monde, je pense qu’il est temps de parler, pour que le choix de faire entrer cet ouragan dans la vie de petites personnes tranquilles et heureuses soit fait en conscience. Une manière pour moi de contribuer, peut-être, à limiter la surpopulation planétaire. Alors voilà. Cet enfant, en plus de ne dormir que contre moi n’a jamais enchaîné plus de 3 heures de sommeil consécutives jusqu’à un âge avancé. Pendant près de quatre mois à raison de plusieurs heures par jour, il a vagi dans mes bras comme une petite bête agitée, sans explication vraiment définie. Il a griffé ma peau de ses minuscules ongles acérés, bavé sur mes vêtements, vomi dans mon cou. Puis ses premières dents ont pointé à travers sa gencive, et il a continué de pleurer. On trouve souvent que les jeunes mères s’oublient et se négligent, mais en secret, elle regardent leurs beaux vêtement, la nuit, quand elles n’arrivent plus à trouver le chemin du sommeil trop de fois interrompu par les cris. Loin d’oublier, elles caressent doucement l’étoffe en se disant qu’un jour, quand elles auront perdu leurs kilos, quand leurs seins ne feront plus trois fois leur taille habituelle, quand leur bébé ne régurgitera plus, elles pourront les remettre, et la vie redeviendra un peu comme avant. Pragmatiques et malines, elles préfèrent exposer au danger leurs vêtements amples et laids plutôt que de sacrifier sur l’autel de la maternité ce qu’elles ont de plus joli. Mais c’est un secret, revenons à l’enfant. Qui mille fois a mis ses doigts dans mes yeux, exploré l’intérieur de mon nez, agrippé mon visage, tiré sur mes cheveux. Au fil des mois, il a ruiné mes cervicales à force d’être trop porté, a distendu mes seins à force de téter, et foutu en l’air ma relation avec mes chats, qui ont fini par redevenir à demi-sauvages. Mon petit fardeau dans les bras, je les observait par la fenêtre. J’aurai voulu grimper sur les toits, moi aussi, mais je devais veiller sur mon petit animal, qui s’était mis à me mordre, souvent. Il paraît qu’il ne faut pas en vouloir au tout-petit qui mord, car c’est une façon maladroite d’exprimer son amour quand il n’a pas encore les mots. Mais parfois, alors que je lui en voulais quand même, j’aurai voulu me tapir dans les herbes hautes, loin de la maison. Quand ça ne lui a plus suffi, il a entrepris de marcher à quatre pattes, se cognant exprès aux angles les plus dangereux en allant s’en prendre à mes livres, à qui il exprimait son amour, à eux aussi. Puis il a découvert les tiroirs, qu’il a ouvert et vidé de leur contenu des centaines de fois sans jamais ranger derrière. En moins d’un an, la maison était devenue quelque chose à mi chemin entre un chantier et une chambre d’adolescent. Dans sa frénétique exploration du monde, il a jeté mes clés à la poubelle, cassé mon appareil photo, mis les mains dans son caca pour tenter d’y goûter, alors qu’il venait catégoriquement de refuser ma purée de courgette qui, comme beaucoup d’autres petits plats, avait fini sur le sol. Mais mes pires souvenirs restent ses tentatives de suicide par étouffement, lorsqu’il cherchait à me culpabiliser de l’avoir laissé machouiller du pain. Longtemps après, ma nuque se hérisse encore au souvenir de ses pleurs de nouveau-né, si forts qu’il en finissait par ne plus reprendre souffle, virant au violet pendant de longues secondes suspendues au dessus de l’asphyxie, avant de reprendre de plus belle. Et ses fièvres alarmantes, quand à trois heures du matin reposait sur moi seule la décision de l'emmener aux urgences ou de rester dans un bain tiède, au risque de me tromper, de le voir convulser et subir des dégâts cérébraux définitifs. Je prenais là la mesure concrète de ce que représente d’avoir entre ses mains la vie de quelqu’un, responsabilité qu’on s’impose du jour au lendemain sans que personne ne nous ai appris comment l’assumer. Comparés à ces heures de peur viscérale, ses nombreuses chutes sur la tête alors qu’il tentait de se mettre debout en s'agrippant systématiquement à des objets instables me semblaient faire partie intégrante du quotidien.
Cette année là, étonnement, je n’ai que très peu vu son père. Nous nous croisions parfois, hagards, parlions peu, surtout de l’organisation de nos tours de garde nocturnes. Nous étreindre semblait appartenir à un autre temps, et même quand nous en avions l’occasion, nous ne la saisissions plus. Accaparée, dévorée, agrippée à longueur de temps, j’en arrivais à ne plus sentir les contours de mon propre corps. Une fois délestée de ce poids qui était passé de quatre à onze kilos en un temps record, j’avais besoin, surtout, que personne ne s’avise de me toucher. Avant de retrouver une once d’intimité avec quelqu’un, il me faudrait déjà renouer avec ma propre identité. Il se demandait parfois, ce papa, si nous avions bien fait, si nous faisions bien. Malgrés l’épuisement physique et mental dont j’étais l’objet, j’assurais avec ferveur, en serrant un peu les fesses tout de même, que oui, nous faisions bien. Phénomène étrange, alors que j’avais angoissé durant la grossesse à l’idée de ne pas m’en sortir seule, le syndrôme post-traumatique de la naissance m’avait rapidement fait atteindre la croyance que j’étais la seule capable de vraiment bien gérer l’élevage de mon greffon. Un an après sa naissance, je fis malgrés tout le constat que j’avais offert en échange de sa survie la totalité de mon temps, et par la même mon énergie, mes loisirs, mes grasses matinées et ma libido. Au moins avais-je mis mes petites robes en dentelle à l’abri.
Heureusement, je suis une fille facile et dès que je pus aligner cinq heures de sommeil par nuit, je m’en retournais vers le valeureux zizi qui m’avait élevée au rang de déesse mère. Par besoin peut-être de sortir de ma routine et de retrouver de nouvelles sensations, je me découvrais bientôt des penchants masochistes. Mais plus que l’habituelle torture physique, je cherchais quelque chose de plus fort, de plus complet. C’est ainsi qu’un soir, très tard, je me suis entendu chuchoter à l’oreille de mon homme tout juste retrouvé que je voulais un autre enfant. Contre toute attente, il a dit oui. En moins de temps qu’il n’en faut pour réfléchir, mon utérus était devenu le siège d’une nouvelle révolution. Alors que mon ventre retrouvait ses formes de plénitudes, je me demandais parfois comment j’allais pouvoir renouveler l’expérience après l’année à laquelle je venais de survivre et surtout, comment j’allais m’y prendre. J’envisageais vaguement de rythmer la vie de mon futur nouveau-né sur des horaires nocturnes. Ainsi pourrais-je, si je trouvais le moyen de réduire encore un peu mes heures de sommeil, m’occuper convenablement des deux à raison de douze heures chacun.
Avant d’aborder les déboirs qui m’attendaient, Je dois avouer une chose : Quand je me suis mise en quête de partager avec mon prochain les affres de cette transition singulière, faire rejaillir de ma mémoire le sentiment d’impuissance qu’infligent les premiers pas de la vie de parent fut une expérience difficile. Car en fouillant mes souvenirs je me suis aperçue que de tout ça, je n’avais gardé que la trace d’une indélébile tendresse. Des heures sombres et des nuits blanches, J’avais presque tout oublié. En revanche, ce qui m’a poussé à désirer un deuxième enfant ce soir là, je m’en souviens très bien.
Quelques mois plus tôt, en observant la petitesse des empreintes digitales de mon fils, je réalisais ce qu’avait voulu dire ma sage-femme le jour où elle m’avait annoncé, un sourire aux lèvres, la disparition prochaine de mon nombril. En effet. Mon centre, c’était devenu lui.
Ce matin là, allongé contre mon flanc, une goutte de lait encore accrochée au coin des lèvres, il était occupé à regarder ses mains papillonner dans l’air au dessus de ses yeux. Elles volaient de droite et de gauche quand tout à coup, elles vinrent attrapper une mèche de mes cheveux qu’elles relâchèrent bientôt, pour, quelques secondes plus tard, recommencer. En réalisant ce qu’il se passait, je restais interdite : ce geste, il l’avait fait exprès. Le souffle rapide, louchant sous l’effet d’une intense concentration, il a recommencé dix fois, vingt fois, sans que je n’ose bouger d’un pouce, au risque d’interrompre un instant décisif qui ne reviendrait pas. Au lieu d’explorer les confins de la malaisie, j’assistais au subtil point de bascule où quelqu’un commence à comprendre qu’il est quelqu’un. Diriger sa main, c’est commencer à prendre possession de son existence. Lui n’avait pas encore les mots pour le penser ainsi mais sentait confusément que la découverte était de taille. Le regardant béatement s’exercer à parfaire son geste, je me laissais gagner par l’idée que peut-être j’avais mis un génie au monde, que peut-être ces mains trouveraient un jour des solutions aux maux de l’humanité, quand soudain il se mit à hurler. Épuisée par l’effort, sa nouvelle main ne marchait plus. Qu’importe. Nous n’étions qu’à l’aube de notre vie commune, des millions d’autres découvertes viendraient ponctuer notre quotidien, et même le faire basculer. Mais à ceux qui ne l’ont pas encore vécu, je laisse le plaisir de la découverte. Les mère ne cachent pas que leurs mésaventures, elles gardent aussi pour elles leurs joies les plus intimes.
Toujours est-il que quelques mois plus tard sa petite soeur, car s’en était une, s’est installée chez nous. Je vécu pendant un temps au coeur d’une sorte de nébuleuse dont je ne garde que des souvenirs flous car bien sûr, je n’ai jamais réussi à faire vivre cette enfant de nuit, et il fallu que je m’occupe des deux à la fois. Je me souviens seulement qu’ils pleuraient souvent en même temps. Quand je sorti la tête du sac quelques mois plus tard, j’eus tout le loisir d’assister au spectacle d’une fratrie naissante. A deux, ils se sont mordus, poussés, enfermés dans les toilettes, jetés des légo au visage. Ils ont éventré les sacs de farine et cassé la vaisselle, se sont écharpés pour une cuillère en plastique ou la plus grosse part de tarte. A deux, ils se collaient de la pâte à modeler dans les cheveux, se couvraient intégralement de peinture, se cachaient dans les placards, et apprennaient à ne pas partager leurs affaires. J’avoue tout de même qu’il y a des choses pour lesquelles ils faisaient preuve d’une précocité étonnante et ne me sollicitaient pas : Passés dix-huit mois et trois ans, ils se coupaient très bien les cheveux sans moi et ne m’attendaient plus pour partir en balade. Ils savaient également se servir d’un briquet qu’ils pouvaient utiliser pour faire brûler leurs lampions de carnaval, par exemple. Mais le plus fou dans l’histoire, c’est qu’au quatrième anniversaire de mon petit garçon, nous avons réussi à poser pour une photo de famille devant son magnifique gâteau en forme de dinosaure. Je m’étais effectivement mise à pâtisser des gâteaux aux formes approximatives, mettant tout mon coeur à faire fondre le chocolat à température idéale pour que la peau du diplodocus luise aussi bien que s’il fut doté de véritables écailles. C’est dire à quoi j’en étais rendue. Mais le plus étonnant ne résidait pas là. Le plus fou de l’histoire, j’y viens, c’est que sur cette photo, entre mes seins enturbanné, apparaissait la minuscule tête d’une nouvelle petite soeur. Oui, je sais…
En quatre ans, poussée par je ne sais quel instinct délirant, j’avais renoncé trois fois à ma précieuse liberté. Pourtant, jamais je n’ai senti de licol brûlant sur mon cou. Parce que ma liberté, je la vivais avec eux : En quatre ans, j’avais pris goût à ma barbouiller de peinture, moi aussi. Je pouvais me rouler par terre sans crainte du ridicule, escalader les toboggans du parc et inventer des naufrages de bateau dans la baignoire, inondant la salle de bain de mousse. Je leur apprenais studieusement à lécher le chocolat au fond des plats, et l’amour des mots rigolos. En voyant ce vaste chantier de construction humaine qu'était devenu ma vie, l’ère de jeux géante qu'était devenue la maison, je me suis dis qu’on se devait bien de les partager, encore une fois, une dernière. Puis quand la routine commençait à s’installer, je partais faire un tour. Un porte-bébé sur le dos, un porte-bébé sur le ventre, un enfant accroché à une main et l’autre portant notre unique sac de voyage, je partais vivre avec eux tout ce que j’avais aimé avant eux. Dormir dans la montagne au milieu des vaches, raconter des histoires à la lampe de poche et se laver au pied d’une cascade, chacun assis sur un rocher, attendant son tour pour se faire plonger dans l’eau glacée, grelotter, crier, et rire pour se réchauffer sur la berge, s’aidant les uns les autres à s’enrouler dans de trop grandes serviettes. A mesure qu’ils grandissaient je pouvais me permettre des projets de plus grande envergure. Lorsqu’ils eurent atteints l’âge de deux, quatre et six ans, je déposais une annonce sur internet. “maman sans le sous cherche points de chute pour tour de France avec trois enfants, petits, drôles, tenant dans un seul lit.” Grâce à un réseau d’amis, d’amis d’amis, et au sens de l’accueil de quelques inconnus, nous avons fait notre tour de France logés et guidé par l’habitant, souvent entassés à quatre dans un lit, découvrant tous les trois jours une région, une maison, une famille. Oui, vraiment, nous avons vécu de folles aventures ponctuées de bobos, de disputes, de cauchemars et de retards, mais aussi de fous-rires, de découvertes et d’instants improbables.
Au retour de ce voyage leur papa qui avait jusque là avait été d’accord pour tout ne l’a plus été, et nous avons décidé d’arrêter de jouer ensemble. Depuis, le temps a passé incroyablement vite. Mes cernes ne se sont jamais vraiment résorbées et mes nuits n’ont jamais retrouvé assez d’insouciance pour me laisser dormir vraiment, mais les enfants ont appris à ne plus me réveiller la nuit. Ils ont aussi appris à faire des pyramides humaines et des expériences culinaires douteuses, ont perdu une bonne trentaine de dents, que je garde sans leur avouer ne plus savoir lesquelles sont à qui. Ensemble, ils ont ramené à la maison des chats, des chiens abandonnés, des hérissons et des oiseaux à moitié morts qu’il a fallu tenter de sauver, mais aussi des poux, des microbes, des devoirs. J’ai appris à diagnostiquer à peu près n’importe quelle maladie infantile et à cuisiner pour quinze en faisant réciter des tables de multiplications et des poésies barbantes. Mais de temps en temps, je peux me reposer parce que ce sont eux qui cuisinent et, en allant me coucher, je découvre un paquet ou un dessin sur mon oreiller, que je collectionne et expose à côté des affreuses décorations de Noel qu’ils ont fabriqué à l’école il y a longtemps et qu’il faut garder, malgré tout. Le temps passant ils n’ont jamais cessé d’envahir mes bras et mes pensées, ni ma maison, toujours pleine de cris, de fous-rires et d’histoires sans queue ni tête, ni fin. Puis vinrent les copains, avec leurs vélos, leurs pyjamas, leur musique pourrie. Quand je rentre du travail ce sont parfois dix vélos que je trouve entassé contre le mur de la maison, et alors, je sais que je vais en retrouver dans toutes les pièces. Des princesses qui défilent dans le salon, des joueurs de piano à quatre main et une grappe d’ados dans un coin, affalés dans le canapé.
Au fil des ans notre foyer n’a cessé de s’enrichir et de s’agrandir, accueillant mes amis autant que les leurs, mais aussi des colocataires ou des gens de passage, pour devenir un lieu souvent bruyant mais qui, au delà les frictions quotidiennes est le nid une incroyable créativité. Chacun étant garant de son bon fonctionnement, on se pose des questions, on s'engueule, on s'excuse, on grandit. On se remet en cause, on se pardonne. On réfléchit aux justes règles, au monde, à nos envies communes ou divergentes. Mais aussi, parce qu’il faut bien le faire, on improvise des fêtes pour célébrer une bonne note ou une peur dépassée en chantant sur des accords de ukulélé. On tourne des films très amateurs, on invite tout le quartier pour des chasses au trésor géantes au travers des rues du village. Et quand l’école, le collège et mon boulot nous laissent tranquilles, quand sont terminées toutes les contraintes de la mère responsable que je suis devenue, on part à l’aventure.
Alors bien sûr, n’allons pas nous mentir, je suis crevée. Mais je ris beaucoup, aussi. Pas une seconde depuis treize ans je n’ai regretté de les avoir conçu. Grâce à eux j’ai appris à entendre ce qui se cache au delà des cris, des pleurs et de l’agressivité, et par là même j’ai mieux compris la nature humaine. J’ai repoussé mes limites de fatigue, de confort, d’insouciance et compris l'intérêt de faire confiance à plus petit et plus fou que soi. J’ai appris à chercher les mots justes pour me faire entendre, et à instiller mes valeurs dans mes gestes quotidiens bien plus que d’en parler. J’ai découvert le don de soi, et par là même accepté de devenir un exemple, mais aussi qu’il soit imparfait. Et enfin, surtout, aussi, j ’ai appris à trouver des espaces vacants là où il ne semblait plus y avoir d’espace, pour vivre ma vie de femme, d’amante, d’amie. Et trouver le temps d’écrire, parfois. Quand à la liberté, comme la vérité au temps de mon adolescence, elle est ailleurs !
……………..
“Maman.. je sais pas pourquoi, mais avant je te trouvais tout ce que tu faisais génial, et maintenant ça me fait bizarre parce que des fois, quand je suis avec toi, je m'ennuie. Je crois que mes copains prennent toute la place.”
“Hmmmmmm tu sens bon la maman… Quand j’ai mal ou que je suis super triste, y a que ton odeur qui m’aide à dormir.”
“On a décidé que quand on sera grands on prendra une coloc tous les trois avec des copains. Et on aura une chambre pour toi, comme ça, si tu veux, tu pourras venir habiter avec nous !”
“Maman, tu peux venir voir s’il te plait ? J’arrive pas à compter les poils en dessous de mon bras, tu peux m’aider ?”
“Maman t’as pas une bonne tête ce matin. Tu veux que je te fasse un café ?”
“ Tu sais des fois je me dis qu’on a de la chance d’avoir notre vie. Même si j’aimerai bien qu’on ait plus de sous, mais bon.”
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