1 an… 1 an pour que je réussisse à raconter ta venue dans notre monde… Beaucoup d’émotions… Et besoin de temps pour être en accord avec cette drôle de journée.
Je te la livre ainsi, sans filtre, sans enjolivement… Mettre au monde, donner la vie est l’acte le plus puissant sur terre, le plus magnifique, mais probablement un des plus durs qu’il soit.
Les jours passaient et tu devais arriver. Je n’étais pas impatiente, je ne suis pas sure que j’étais tout à fait prête. La grossesse avait été courte, 9 mois c’est parfois très court pour se préparer.
Ton père et moi avions choisi de ne pas connaître ton sexe, peut importe nous t’aimions déjà. Et nous t’aimerions qui que tu sois.
Je pensais que tu étais une fille… j’en étais quasi persuadée, au point que je n’arrêtais pas de dire « elle » quand je parlais de toi. J’avais peur de ça, parce qu’il a été tellement difficile pour moi d’être une fille, puis une femme, que je ne souhaitais pas que tu vives des difficultés liées à ça. Je voulais profondément une fille, tout en ayant peur de ce à quoi ça me renverrai.
Bref, nous attendions ton arrivée… l’accouchement aurait dû arriver plus tôt, avec la sage-femme que nous avions choisi et qui était la bonne et belle personne pour nous accompagner. Je savais que si je dépassais le 8, ce ne serait plus elle… mais comme elle avait dit « mais il va pas se faire attendre autant ce bébé ! ».
Et pourtant si, tu avais décidé de rester au chaud le plus longtemps possible, et je crois qu’avec mon envie de te garder encore un peu dans mon giron, je ne t’aidais pas à te décider.
La nouvelle sage femme m’a alors prévenu qu’au-delà du 10, on sortait du protocole plateau technique, et que je devrais rentrer dans les visites à l’hôpital, ce qui me terrorisait. J’ai donc pris le 9 à midi, une dose homéopathique qui devait lancer le travail.
Je sentais que des choses se mettaient en place, j’avais besoin d’être seule, de ne pas être dérangée, je sentais que j’étais irritable, à fleur de peau… en moi-même je pensais « ça arrive »…
Dans la nuit du 9 au 10 juin, je commence à sentir quelques tiraillements… Je me laisse du temps, je traîne, ça reste vraiment sage… Je me demande si le travail va vraiment se lancer cette fois. Je monte me coucher pour avoir les forces nécessaires au cas où.
Je ne parviens pas à trouver le sommeil… j’essaie de me détendre mais n’y parviens pas. Je n’ai pas vraiment mal, mais je suis surexcitée, je sens que c’est proche, et je décide de prendre un bain.
Je réveille quand même ton père, pour m’assurer qu’il fasse mon back up, qu’il gère ton frère au cas où et qu’il soit prêt à appeler la sage-femme et sa sœur qui doit venir garder ton frère au cas où.
Il est grincheux, fatigué… je le remue un peu, genre « je crois que c’est pour cette nuit, va falloir que tu te réveilles ». Quand je file dans le bain, il est toujours couché…
Dans le bain, ça continue tranquillement, mais je prends la peine de mesurer le temps entre les contractions… entre 5 et 10 minutes… ça a l’air de se préciser… je prends le temps de me centrer, je sens que je commence à être bien avec toi, je te parle, tu me réponds avec des petits coups… Ces petits coups me rassurent, mais je te sens dos contre moi, et ça m’inquiète un petit peu… Les sages femmes pensaient que tu passerais à gauche pour sortir, et je sens que ce n’est pas le cas.
Ton père arrive dans la salle de bain, il est toujours un peu grincheux et ça m’agace… c’est moi qui vais accoucher, j’ai besoin de bienveillance, de soutien, et en même temps qu’on me laisse tranquille… tu remarqueras l’absence de logique…
Il appelle la sage femme qui lui avait demandé d’appeler dès le début du travail, ton frère étant né telle une fusée… Elle a peur qu’on ait pas le temps d’arriver à la maternité. Ta tante est prévenue et arrive aussi. Je me tranquillise.
Je décide de sortir du bain, ça commence à piquer un peu, mais je suis toujours calme et sereine, prête à t’accompagner. Tout le monde arrive en même temps, ça me dérange, j’ai envie de calme… je me mets sur les genoux sur un matelas par terre, c’est la seule manière pour moi pour gérer les contractions… ça me rappelle ton frère, c’était déjà le cas.
Le monde brasse autour de moi, la SF me met le monito, j’arrive à rester dans ma bulle et je sens monter l’intensité des contractions. Elle demande à m’examiner, j’accepte pour savoir si je peux me remettre dans ma bulle… Elle m’indique que ce n’est que le début, mais qu’on va se diriger vers le plateau technique du fait de mes antécédents.
Là ça se complique… les contractions deviennent difficilement gérables car je dois sortir de ma bulle même si tout est prêt… j’ai juste envie de rester là, tranquille, et de ne pas me déplacer. Je vis mal ce mouvement, j’angoisse d’aller à l’hôpital (le PT est dans l’enceinte de l’hôpital), et mon angoisse aggrave ma douleur… rien que d’aller à la voiture, j’ai déjà 4 contractions, et je me dis que ça risque d’être encore rapide…
Le trajet est court… assez inconfortable, mais nous sommes juste ton père et moi et ça m’aide… on rit, je ne sais plus pourquoi, mais c’est assez doux malgré la douleur.
Arrivés à la maternité, je sens la panique monter en même temps que la douleur… Je suis clairement hors de ma bulle, et je me dis qu'il faut d'urgence y retourner avant de perdre pied...
Nous croisons une sage-femme dans les couloirs, elle me dit avec un sourire bienveillant « c’est bientôt là »… et je dois m’arrêter tous les 20 mètres à cause d’une contraction…
Une fois dans la salle, j’essaye de me remettre dans ma bulle mais n’y parviens pas… j’ai vraiment mal, chaque contraction me fait l’effet d’un déchirement intérieur… Je fonds en larmes, je n’y arriverais pas, j’ai vraiment trop mal… Je grogne à chaque contractions, le chant calme du début de soirée se mue en crie…
Ma sage-femme me demande si je veux qu’elle m’examine, je lui dis que non, si elle me dit que je suis toujours au tout début je vais me décourager…
30 minutes plus tard, les cris deviennent hurlement, je grogne, je pleure, je crie…. La douleur devient souffrance, je baisse les bras. Ma sage-femme demande à m’examiner, j’accepte, je suis à 7… C’est donc allé vite… Dans ma tête je me dis « phase de désespérance », et en même temps je ne te sens pas descendre. Elle propose alors de me percer la poche des eaux, car tu n’es pas bien placé, c’est pour ça que c’est si dur. J’ai alors le souvenir de la naissance de ton frère, ou sans les eaux ça avait été trop dur…
Je refuse, je refuse qu’on intervienne, je refuse qu’on me touche… La sage-femme parle avec ton père, ça commence à être le défilé des sages-femmes qui viennent voir pourquoi ça crie… Ca m’inquiète, pourquoi ça défile, pourquoi ça chuchute dans mon dos, qu'est ce qu'on ne me dit pas?…
Ton père me dit « c’est parce que c’est une fille que tu ne veux pas qu’elle sorte ? »… je lui dis « naaaaaaaaaaaaaan, je veux une fille »
Elle redemande à m’examiner, pour sentir où est ta tête et le reste de ton corps. Sur la table cette fois… Et là je vrille complet, sur le dos ce n’est pas possible, j’hurle sans m’arrêter, je baisse les bras, je demande la péridurale… Je ne veux pas que tu arrives dans ces hurlements, je ne veux pas que tu ais peur, je ne veux pas avoir le souvenir d’hurler pour te donner la vie, ou te rejeter car la douleur aura été trop forte…
Elle me dit que tu ne descends pas car tu n’es pas bien placé, que percer la poche peut aider à tout décoincer, que ça va t’engager et que ça devrait aller vite. Sauf que je ne peux plus supporter plus, et je souhaite me respecter, respecter mon bébé… Elle essaye le protoxyde d’azote, ton père lui dit que ça ne va pas le faire… que je ne vais pas supporter le masque… effectivement je me débats et j’enlève le masque, j’ai l’impression d’étouffer, je suis claustrophobe…
Elle demande le transfert à l’équipe médical, l’anesthésiste arrive rapidement,… Je te parle, je te dis que ça va aller, que c’est pour aider ta maman qui n’y arrive pas. Que ça va calmer la douleur mais que je ne te lâcherai pas, que je serai toujours là pour t’accompagner.
L’anesthésie est posée, je continue de crier à chaque contraction… On me dit que ça devrait vite aller, d’attendre 20 min… Mais 20 min après il ne s’est rien passé, la péri ne fonctionne pas, je ressens exactement la même chose… On me répond d’attendre, et là j’hurle, en ne m’arrêtant juste pour respirer…
Je ne sais plus qui est là, j’ai besoin que ça se calme, j’ai besoin de reprendre mes esprits et je souffre trop pour y parvenir.
L’anesthésiste revient, je me souviens que quelqu’un lui a dit « elle dit que la péri ne marche pas ! » et à lui de répondre « évidemment qu’elle ne marche pas, sinon ça la soulagerait ! »… il injecte alors une quantité énorme de produit et je me dis « et merde, maintenant je ne vais plus rien sentir »…
Rapidement je ne sens plus rien, plus de douleur, plus de contractions, plus toi qui essaye de te frayer un chemin… J’ai besoin de penser à autre chose quelques minutes, ce que je fais, puis je me reconnecte à toi, espérant que tu ne t’es pas senti abandonnée.
Ma tension descend, les SF discutent… je suis la seule dans le service. J’ai honte d’avoir baissé les bras, et en même temps je ne voyais pas d’autres solutions… Ma tension descend encore, ça sonne, en moi-même je pense « fallait s’y attendre »… L’anesthésiste repasse, je suis à 6 de tension, je ne tombe pas dans les pommes parce que je ne veux pas te laisser…
Ma sage femme part, celle qui reste est vraiment chouette… Il est 8h, l’heure du changement de service… Je pense à ton frère qui a aussi connu le changement de service, mais du soir.
Elle regarde et me dit que c’est ok, tu es prête à arriver, que ça devrait aller vite… Je lui dis que je ne sens toujours rien, et que je ne peux pas pousser si je ne sens rien. J’ai peur, je tremble, je m’en veux car je risque de ne pas sentir ta venue….
Elle m’apaise en me disant qu’on a encore un petit peu de temps, alors je demande à l’Univers de te sentir, de dissiper l’anesthésie… je ne sais pas si ma prière est exaucée, mais rapidement je sens de nouveau les contractions, ça me fait mal même, c’est donc ok je suis prête, toi aussi, on va faire ça ensemble…
Je pousse, 1 fois, 2 fois, t’étais juste là… on te pose sur moi, ça y est tu es là… ton corps tout mouillé et tout chaud, tu as des petits cheveux tout frisés, tu es plein plein de vernix… Tu avais envie de rester encore au chaud… Je t’aime tellement… ton père et moi sommes si émus… Je demande à ton père « c’est une fille ou un garçon ? »… On regarde, tu es une fille, je le savais… ma chérie…
Tu as pleuré longtemps contre moi… je te disais « vas y évacue ma chérie, évacue… c’était dur pour toi aussi »… puis tu as trouvé le sein… tu pleurais, têtais, pleurais… et puis tu m’as fait ton regard, celui qui sourit, et je suis tombée totalement amoureuse.
J’ai eu du mal à ne pas m’en vouloir de cette naissance, de ne pas avoir pu t’aider à arriver dans notre monde en douceur… tu as entendu les cris, tu as ressenti ma peur… et je m’en voulais tellement de t’avoir fait subir ça avant même que tu arrives.
Et puis je me suis dis que c’était notre histoire, et qu’elle était belle, même si elle n’avait pas démarré comme je le rêvais. Et quand je t’entends savoir exprimer tes besoins de ta petite voix qui-tue-les-oreilles, je me dis que je t’ai transmis aussi le droit de t’exprimer, et que peut être je peux aussi m’octroyer ce droit….
Merci à toi ma chérie, la plus merveilleuse des petites fées de la terre… je t’aime….