Inscrite depuis peu, je pense que commencer par le récit de la naissance de ma fille est un bon début !
Pour information, j'ai accouché à la maternité du CHIV de Villeneuve Saint Georges (94), qui offre la possibilité à des Sages-Femmes de disposer des locaux pour les accouchements des femmes qu'elles suivent en libéral (plateau technique). Au début, j'étais très tentée par un accouchement à domicile, et mon conjoint également, mais il s'est avéré difficile de trouver une Sage-Femme partante pour l'aventure. Finalement, ce compromis m'a pleinement satisfaite, surtout pour un premier bébé.
Voici donc l'histoire de sa naissance (c'est long, vous êtes prévenues !) :
La veille de ta naissance, j’ai rendez-vous avec notre Sage-Femme, nous serons à terme dans deux jours. Je suis fatiguée : j’ai pris 15 kilos depuis le début de la grossesse, je fais beaucoup de rétention d’eau, je dors mal…Tout va bien, mais nous nous apercevons que le prélèvement vaginal visant à savoir si je suis porteuse du Streptocoque B est passé à la trappe : je dois donc le faire rapidement. Au cas où, je prend le traitement de prophylaxie. A l’examen, le Sage-Femme constate que mon col est ouvert à 2 doigts et selon lui, « favorable » : il me propose de tenter un décollement des membranes pour enclencher le travail, car à part cette modification du col, je n’ai toujours aucun signe d’accouchement imminent… Et ton père et moi sommes à bout de patience. J’accepte. Le geste se fait en douceur, j’ai l’étrange sensation de sentir les contours de ta tête se dessiner. Quand je me relève, je te sens clairement descendre dans mon bassin ! Le Sage-Femme m’encourage à me promener pour mettre le travail en route, et me quitte en me disant « A ce soir » !
A peine sortie du cabinet, les contractions s’enchaînent : elles sont intenses et régulières. Je perds aussi un peu de sang. Je me promène un peu, il fait chaud. Je fais le prélèvement sur le chemin du retour, puis je prends le train pour rentrer à la maison. Du côté de la fenêtre, en plein soleil, je me sens bien : malgré ma pesanteur et la fatigue, je sais qu’on va se voir bientôt, je profite de ces derniers instants de communion, juste toi et moi. J’envoie un message à ton Papa pour le prévenir de ce qui se trame.
Nous habitons loin de la gare et le chemin à pieds est laborieux : j’arrive en sueur. Sans savoir pourquoi, je me lance dans un grand ménage : le sol, la salle de bains, tout y passe ! Ton Papa rentre et me trouve en pleine agitation. Il est tout excité et prépare déjà son sac pour la maternité, me surveillant d'un oeil… Toute la soirée, les contractions s’enchaînent. Elles sont anarchiques en force comme en régularité, et nous comprenons que ce ne sera sûrement pas pour cette nuit. Par contre, je continue à avoir des pertes : je mets une protection pour évaluer leur aspect. Nous allons nous coucher : dans la nuit, je me lève pour aller aux toilettes, et trouve ma protection bien humide. Le sang est mêlé à une substance liquide transparente, peu abondante, mais tout de même… Du liquide amniotique ?
Le lendemain matin, le Sage-Femme me passe un coup de fil pour prendre de mes nouvelles. Je lui explique cette histoire de pertes : il est un peu inquiet car il n’a pas encore les résultats de mon prélèvement, il propose de me rappeler sous peu. Je file prendre une longue douche : on ne sait jamais ! A peine sortie, le Sage-Femme rappelle déjà : le laboratoire a les résultats, et j’ai plein de Streptocoques B. Heureusement que j’ai commencé le traitement hier. Mais nous devons tout de même aller à la maternité pour vérifier s’il s’agit de liquide amniotique, et le cas échéant, déclencher l’accouchement, car c’est trop risqué pour toi d'attendre plus longtemps.
Bien sûr, nous n’avions pas prévu les choses ainsi… Le déclenchement était quelque chose que je voulais éviter. Mais on ne peut jamais savoir comment va se passer une naissance ! Ton Papa et moi sommes soulagés et heureux à l’idée de te rencontrer bientôt. Nous préparons la valise, Papa prend une dernière photo de mon ventre, puis je bois une tisane en attendant le taxi… Il règne une ambiance lourde d’excitation et de stress. Nous retrouvons le Sage-Femme à la maternité.
Je suis soulagée de le voir : c’est une personne calme et souriante et il me rassure. Il nous explique que même avec un déclenchement, l’accouchement se passera bien, car nous ne partons pas de zéro vu l'état de mon col. Puis nous testons le liquide… La bandelette change de couleur, j’ai bien fissuré la poche des eaux ! Ton Papa et moi nous sautons dans les bras : ça y est, c’est le grand jour, dans quelques heures tu seras enfin là !
Nous nous installons tous les trois en salle de travail. Les grandes fenêtres donnent sur les arbres. Nous prenons possession des lieux : je passe la blouse de l’hôpital, plus pratique. Nous discutons joyeusement de tout et de rien. Nous installons le monitoring et la perfusion : le Sage-Femme nous met à l’aise et nous explique comment se passe le déclenchement. J'appréhende un peu, mais j'essaie de me laisser porter par la bonne humeur ambiante.
Il nous a apporté un ballon et me propose de m’y installer pour aider le travail à se faire. Je m’assois dessus, et ton Papa en face sur un fauteuil. Il nous faut un moment pour s’habituer au monitoring qui n’arrête pas de bouger, et de perdre les battements de ton petit cœur, mais le Sage-Femme nous fait comprendre de ne pas nous en soucier, lui se débrouille bien avec ce qu’il entend. Je fais des mouvements sur le ballon, comme à la maison. Rapidement, les contractions démarrent, elles sont comparables en intensité à celles que j’ai connues la veille. Nous continuons de parler tous les trois, tranquillement…
Assez vite, elles deviennent plus profondes. Je sens clairement la vague monter : c'est une douleur sourde, comme une grande bouffée de chaleur qui m’emporte et me recentre sur moi-même. Je n’entends plus rien, je déconnecte, concentrée sur ma respiration, mes mouvements. A chaque contraction, j’attrape la main de ton Papa et ne la lâche plus jusqu’à la fin : j’ai vraiment besoin de ce contact pour me sentir bien, et me précipite sur lui à chaque fois que la vague arrive. Les garçons continuent de parler entre chaque contraction, mais j’ai de plus en plus de mal à les suivre, occupée par autre chose. Le Sage-Femme me prévient lorsqu’il augmente le débit de la perfusion. Je suis comme dans un autre monde. La douleur augmente, et au bout d’un moment, le ballon ne me convient plus, j’ai peur de ne pas pouvoir me relever, de rester coincée là jusqu’à la fin. Le Sage-Femme m’aide à me mettre debout, le buste appuyé sur le lit, mais je ne suis toujours pas à l’aise : je me sens faible, j’ai peur que mes jambes lâchent, et je ne supporte plus que ton Papa bouge, ne serait-ce qu’un instant. J’ai besoin de lui à chaque contraction. J'ai besoin que tout le monde reste à sa place, autour de moi, j'ai peur d'affronter seule la contraction.
Le Sage-Femme m’aide à m’allonger pour m’examiner : je suis désormais à 5cm. Je trouve que c’est peu, il me semble que le travail a commencé il y a déjà longtemps… En fait, non, il aura duré 6 heures en tout. Il me propose de percer la poche des eaux, déjà fissurée, pour passer à la prochaine étape. Il me prévient que la douleur sera plus intense ensuite, mais que le travail va aussi considérablement avancer. J’accepte. Il nous montre, à Papa et moi, le petit instrument en plastique avec lequel il va percer la poche. Lorsqu’il la perce, je sens le flot de liquide chaud s’évacuer, et j’éclate de rire ! Je ne peux plus m’arrêter, et plus je rigole, plus le liquide coule ! La sensation est tellement curieuse. On reprend le ballon. Je perds du liquide et un peu de sang partout, ça m’embête, mais le Sage-Femme me fait comprendre de ne pas y prêter attention. Cette fois, je m’agrippe au cou et aux épaules de ton Papa à chaque contraction. On peut s’embrasser, se bercer, et ce contact me rassure énormément. Le Sage-Femme met de la musique, la même que durant mes cours de préparation à l’accouchement, et c’est agréable.
Mais la tempête revient vite après ce moment de calme : subitement, les contractions deviennent aiguës et puissantes. En plus, j’ai la sensation qu’elles sont complétement anarchiques, et parfois je n’ai que quelques secondes de pause entre deux. Je suis effrayée par ce changement, je n’arrive pas à gérer cette douleur trop différente, qui me dépasse.
Le Sage-Femme m’aide à monter sur la table, mais je ne veux pas m’allonger, je suis trop mal, aucune position ne me soulage. Je me tortille dans tous les sens sur la table, les jambes fermées, je ne gère plus, je bouge tellement que j’arrache ma perfusion. Le Sage-Femme me propose le masque de protoxyde d’azote : c’est ton Papa qui a la mission de me le tenir. On essaie, mais c’est sans effet sur moi, à part la sensation stressante d’étouffer dessous. Je m’applique pourtant à respirer à fond. A un moment, je l’arrache même pour pouvoir hurler, tellement la douleur est forte. Mais le Sage-Femme reste d’un calme olympien face à moi, et malgré tout, cela me permet de garder pieds. Je pleure, je suis désespérée, je demande même la péridurale, je n’en peux plus. Je suis terrorisée, en fait : j’attrape la main du Sage-Femme pour la poser sur mon ventre à plusieurs reprises, comme s’il pouvait canaliser quelque chose. J’ai besoin qu’on me touche, qu’on me retienne physiquement en me tenant la main, en touchant mon ventre.
Mais ton Papa et le Sage-Femme me font confiance, et ils savent ce que je veux vraiment : un accouchement naturel dont je pourrais être fière. Le Sage-Femme s’éclipse pour appeler l’anesthésiste, et revient en nous disant qu’elle est occupée, mais qu’elle montera nous voir dès que possible. Bien sûr, il n’en est rien, et le clin d’œil à Papa est explicite… Moi, je comprends plus ou moins que je vais devoir faire sans, que je n’ai pas le choix.
Il va falloir trouver un moyen d’affronter la douleur. Le Sage-Femme prend le temps de me parler de ce que je ressens : il m’explique que, plus que la douleur, c’est la peur qui me met dans cet état, parce que ces sensations sont inconnues, et que je dois arriver à me laisser aller. Il m’aide à m’asseoir en tailleur, les jambes fléchies au maximum. Il installe une barre au-dessus du lit, à laquelle je peux m’accrocher à chaque contraction. Ton Papa est toujours là, présent, parfois silencieux, parfois encourageant. Je n’ai pas besoin de le regarder pour sentir sa présence. Désormais, j’ai passé un cap. D’ailleurs, la douleur a changé : les contractions cauchemardesques ont laissé place à une nouvelle sensation, la poussée. Ce n’est pas douloureux à proprement parler, mais la sensation est si intense, si inédite, que je résiste malgré moi. Mon corps, mon souffle se bloquent à chaque fois. Le Sage-Femme m’encourage à me détendre, à me concentrer sur ma respiration, pour t’accompagner, à ne pas me laisser impressionner.
J’écoute la musique. Je suis entièrement focalisée sur ma respiration, que je ne lâche pas même entre deux contractions. J’accompagne cette sensation de poussée du mieux que je peux. Le calme revient dans la salle. Les garçons parlent entre eux, même si je ne comprends plus vraiment. Je capte une bribe de conversation : le Sage-Femme dit à ton Papa que maintenant je suis « dans mon monde ». Je me sens encouragée, soutenue, sans être le centre de l’attention, sans qu'ils se laissent emporter avec moi, et c’est très bien.
D’un coup, il fait nuit. Le Sage-Femme m’explique que tu fatigues, et que ton rythme cardiaque est en baisse, qu’il va falloir pousser pour de bout. Il s’installe et m’aide à me positionner un peu mieux. Moi aussi je suis fatiguée, je ne sens plus mes jambes, je commence à avoir du mal… Je pousse, mais c’est inefficace, je ne comprends pas ce que je dois faire. Le Sage-Femme me demande de suivre attentivement ses conseils, pour te faire sortir le plus vite et le mieux possible. Ton Papa est toujours là, qui me tient la main, qui m’encourage. Je me concentre, après plusieurs poussées, je comprends ce qu’il faut faire… Et je m’y mets de toutes mes forces. Tout le monde m’encourage. Une Aide-Soignante est venue en renfort, discrète, elle s’était présentée à nous plus tôt dans la journée. Elle s’excuse de pousser un peu sur mon ventre, mais je ne sens rien, trop concentrée. Elle est très maternelle et sa présence est réconfortante, elle me soutient elle aussi véritablement, et me félicite à chaque poussée.
Soudain, dans le mur carrelé de la salle, j’aperçois mon reflet, et ta petite tête chevelue qui vient de pointer. Ton Papa va jeter un coup d’œil à cette apparition puis revient à côté de moi, plus qu’une poussée ou deux et tu es là, je te sens sortir d’un coup et cette sensation est indescriptible. Je crie ou pleure (ton Papa dira que j’ai rigolé) tandis qu’on te pose sur ma poitrine. Parfaite petite créature à qui je dis quelques mots, sans vraiment te voir, sous le choc. On t’emporte dans la salle de soins à côté car tu ne pleures pas. Je dis à ton Papa « va avec elle ! » mais il est déjà parti. Je reste complétement seule un instant, écartelée, shootée par l’émotion, je ne pense plus à rien, et soudain je t’entends pleurer et je suis heureuse, je sais que tout va bien.
L'Aide-soignante revient, je lui demande des nouvelles. Elle me dit que tu vas très bien, qu’il a suffit de te frotter le dos pour que tu pleures. Elle me félicite encore pour cette belle naissance puis s’en va discrètement. Le Sage-Femme revient avec ton Papa, qui s’installe en peau à peau avec toi sur le fauteuil. Je peux vous regarder pendant tout le temps ou le Sage-Femme s’occupe de moi : j’ai seulement deux petites déchirures qui nécessitent quelques points, mais le périnée est intact. Le Sage-Femme m'explique qu'il vaut mieux recoudre pour éviter que les mictions soient trop douloureuses dans les jours qui viennent, car elles sont mal placées. La délivrance arrive vite, le Sage-Femme nous montre ton petit nid douillet, le placenta, en nous expliquant un peu son fonctionnement.
Je ne peux pas vous quitter des yeux, ton Papa et toi, je suis en admiration… Tu le regardes fixement, tu es très éveillée, sereine, blottie contre lui, tu fais de petits mouvements de succions, tu as faim. Ton Papa est pressé de te déposer contre moi pour que nous fassions connaissance. Le Sage-Femme s’éclipse un moment. Ce premier contact est si bon. Tu as la peau toute douce, tu es belle, calme, je te câline et te met au sein dans la foulée. Nous sommes aux anges. Nous t’aimons déjà de tout notre cœur…
Avec le recul, je peux faire le point sur cet accouchement :
Les points positifs :- L'accompagnement global est vraiment source de confort et de sécurité émotionnelle, quel bonheur d'être juste accompagnée par des personnes de confiance !
- Le Sage-Femme qui s'est montré à la hauteur de nos attentes : entièrement disponible, professionnel, attentionné.
- Nous avons pu sortir dès le lendemain de la maternité grâce au suivi à domicile organisé à l'avance.
Les points négatifs :- Le personnel soignant de l'hôpital, qui n'avait pas l'habitude de ce genre d'accouchement et n'avait pas reçu les transmissions nécessaires : je n'ai eu aucun soin de toute la nuit (alors que j'étais épuisée et aurait bien voulu qu'on m'aide à me lever), le pédiatre qui devait passer nous voir le lendemain matin pour confirmer notre sortie n'était pas au courant (nous avons donc dû attendre et déranger le pédiatre de garde)...
- Des soignants très inégaux : certains attentionnés et agréablement surpris par notre projet, d'autres hautains et infantilisants dans leurs remarques.
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