Attention, c'est long !
Accoucher à la maison, c'est une évidence pour moi depuis toujours. Lorsque j'ai découvert cette possibilité, il y a une quinzaine d'années, cela m'a paru naturel.
J'ai travaillé mon homme pendant 10 ans, et il m'a toujours dit qu'il me faisait entièrement confiance, et que c'était moi qui accouchait donc qui décidait, si j'étais sûre de moi.
J'ai trouvé ma sage-femme deux ans avant d'être enceinte, et je l'ai contactée quelques jours après le + sur le test de grossesse. C'est elle qui m'a suivie pendant toute la grossesse, et j'en suis plus que ravie.
Nous sommes donc vendredi matin. Depuis quelques jours, j’ai des contractions régulières qui durent quelques heures puis s’arrêtent. Ces périodes deviennent de plus en plus longues et les contractions de plus en plus douloureuses, mais tout à fait supportables. J’appelle R., ma sage-femme, qui m’informe qu’elle passera à 13 heures.
Lorsqu’elle arrive, les contractions se sont calmées. Elle m’explique que c’est encore le pré-travail, que ça va sûrement bientôt commencer, mais que ce n’est pas pour tout de suite. La naissance aura lieu certainement dans le courant du week-end. Je dois l’appeler lorsque les contractions deviennent vraiment fortes. Tu sauras, me dit-elle, ça sera différent. Tant que je pense que je peux dormir, c’est que ce n’est pas encore le moment. Je trouve que je commence à avoir mal, et je me demande comment je saurai et en quoi ça sera différent, mais je fais confiance (hé hé… t’inquiète pas pour ça, ma cocotte, tu sauras !). Dans l’après-midi, les contractions augmentent en intensité.
Vers 21 h, je suis fatiguée, j’ai plutôt mal, mais je sens que ça va encore, et que je peux dormir encore cette nuit. Je me couche. Une demi-heure après, je suis réveillée par une contraction beaucoup plus forte et beaucoup plus douloureuse. Je laisse passer, j’attends de voir si ça continue. Ca continue régulièrement pendant 20 min, je commence à avoir les larmes aux yeux à chaque contraction. Je me lève et je réveille mon homme. Il est un peu dans les vapes, et me demande de lui laisser encore 1 heure. Après une petite engueulade, il comprend que c'est sérieux, et me conseille de prendre un bain. J’y reste à peine 15 minutes, je supplie mon homme d’appeler R. tout de suite, je ne tiens plus et j’ai l’impression que je ne vais pas supporter ça plus longtemps. Mon homme appelle R., qui arrive 30 minutes après.
La période qui suit est un peu floue. Je me souviens surtout de la douleur, j’ai l’impression de mourir à chaque contraction. R. et mon homme remplissent la piscine et me soutiennent pendant les contractions. Je souffle, R. me montre comment respirer pour que ça soit supportable, en poussant des sortes de râles. Mon homme dit qu’on dirait des « om » de méditation. J’essaie de me concentrer dessus, mais la douleur me fait un peu paniquer. Je ne tiendrai jamais une heure de plus !
La piscine est prête, je m’y installe. La chaleur de l’eau me fait beaucoup de bien. Je m’installe à genoux, la tête sur le rebord moelleux, les bras pendant à l’extérieur. Je n’ai plus la notion du temps. Pendant les contractions, je tiens fermement les mains de mon homme. S’il essaie de faire autre chose, je lui hurle dessus de rester là. Et je me concentre sur les « Om ». Au point culminant de la contraction, lorsque je sens que je perds pied, j’essaie de prolonger ce râle le plus possible. Ça m'aide beaucoup, ça évite que la douleur me submerge. Une fois la contraction finie, je profite en silence du répit. Ces quelques minutes sont magiques, à chaque fois. Quelques heures passent, rythmées par les contractions et l’écoute du cœur du bébé. Les contractions se rapprochent et cela devient vraiment dur. Je sens que je craque. Je dis à mon homme et à R. que je n’en peux plus, que j’en ai marre, que j’aimerais que ça s’arrête. Entre les contractions, je pense (mais je n’ai pas la force de l’exprimer, ou plutôt j’ai besoin de profiter au maximum de ce répit) que c’est de la folie, comment des femmes peuvent envisager d’avoir un jour un autre enfant ? Ça me parait complètement dingue et je me dis que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les contractions s’enchaînent, parfois sans pause entre deux. Je veux juste que ça s’arrête. A ce moment là, R. me dit qu’elle n’a pas besoin de m’examiner, j’en suis aux deux derniers cm de dilatation. Heureusement, j’ai lu de nombreux récits d’accouchement, j’en avais parlé avec ma sage-femme, et je reconnais la fameuse phase de désespérance. Je sais qu’il n’y en a plus pour longtemps (mais quelle galère !).
Et puis, au milieu d’une contraction, je ressens l’envie de pousser. Il est environ 3h du matin. Je suis surprise par la similitude avec le besoin d’aller à la selle. Je laisse mon corps pousser, je l’accompagne. Les contractions sont toujours douloureuses, mais au moins je suis active. Je n’attends plus passivement que ça passe. R. me dit que mon bébé naîtra avant le lever du jour. Elle appelle sa collègue, qui viendra l’assister pour la naissance.
Le temps s’allonge, il me semble que le travail s’éternise, que rien n’avance. Je ne sens pas le bébé descendre, et ça commence à m’inquiéter. R. me propose de sentir où ça en est. Je glisse ma main à l’intérieur. Mes doigts touchent une petite surface toute molle et toute douce. C’est mon bébé ! La tête de mon bébé est plus qu’engagée, je n’en reviens pas. La collègue de R. arrive. Elle est si douce et si discrète. Elle s’assied dans un coin et lit les informations notées par ma sage-femme au cours de l’accouchement, et elle attend.
R. me propose de changer de position, pour faire avancer un peu plus les choses. J’en teste deux, je ne m'en souviens plus exactement. Dans l’une, c‘est trop insupportable, dans l’autre il n’y a presque plus de contraction. Je me remets en position initiale, mais accroupie. Soudain, je ressens une forte brûlure. Je sais que c’est la tête qui est sur le point de sortir (et je maudis en même temps cette idée d’avoir voulu un enfant !). La contraction suivante, voilà la tête qui sort ! ("Oh, bordel, c'est énorme !" c'est tout ce qui me passe par la tête.) Les deux ou trois contractions d’après, je pousse, je pousse, mais rien ne bouge. Il faut encore changer de position. J’en teste encore deux différentes, ça ne bouge toujours pas. Je ne le sais pas encore à ce moment là, mais ma petite a le poing droit sur l’oreille gauche, et son épaule est coincée. Bon, les sages-femmes sont très calmes, elles m’invitent à sortir de la piscine. Je m’exécute. J’ai un peu peur de blesser la tête de ma fille au passage, mais non, en faisant attention, tout se passe bien. Une serviette douce est déposée par terre. Une contraction vient, je pousse une dernière fois et le corps sort. Ma petite est un peu choquée. Elle ne dit rien et a du mal à respirer. Mais son cœur bat tout à fait normalement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. R. la masse un peu et quelques instants après, elle pousse un cri et respire tout à fait normalement. Elle est née à 5h31, avant le lever du jour.
Je me déplace sur mon lit, ma fille est posée sur moi. Je la tiens tout contre moi, elle sent si bon ! Ca y est, je suis maman ! Le placenta sort sans encombre environ une demi-heure après la naissance, tout va bien. R. l’emballe dans un sac plastique (le placenta, pas mon bébé), et mon homme va présenter sa fille aux grands-mères le temps que je sois recousue (ma mère et ma belle-mère ont fait le trajet dans la nuit, dès que mon homme leur a annoncé que le travail avait commencé, elles sont arrivées au milieu de l’accouchement, mais sont heureusement restées très discrètes dans la pièce d’à côté et ne m’ont pas perturbée). J’ai une petite déchirure d’un cm (étonnant que ça soit si peu, selon les sages-femmes, vu la situation). R. travaille vraiment tout en douceur.
On me ramène ma fille, mon homme coupe le cordon et je teste l’allaitement (laborieusement, mais j’y parviens). Ma fille est la plus belle du monde ! Cela valait le coup, finalement. J’ai entendu qu’on oublie les douleurs dès qu’on nous pose le bébé sur le ventre. Pour ma part, c’était totalement faux. Il m’a bien fallu 3 ou 4 jours pour ne plus ressentir cette douleur dans mon corps.
R. reste auprès de nous quelques heures pour s’assurer que tout va bien pour moi comme pour ma fille, elle procède aux soins de rigueur, range ses affaires, me donne des conseils pour l’allaitement et s’assure que j’y arrive bien.
Les jours suivants, elle repasse, 2 fois par jour au début, puis une fois par jour, puis tous les deux jours, tous les trois jours et enfin une fois par semaine. Nous parlons beaucoup, de l’accouchement, de mes premiers pas en tant que mère, elle répond à toutes mes questions et me donne mille conseils. Une semaine après l’accouchement, elle m’explique qu’à un moment, au début du travail, j’avais du mal à me mettre dans ma bulle, que le cœur de ma puce « faisait des cabrioles », et qu’elle a envisagé que nous partions à l’hôpital si ça continuait. Ensuite, j’ai réussi à me remettre dedans, et son cœur est reparti normalement, jusqu’au bout. Heureusement qu'elle ne m'en a pas parlé sur le moment.
Elle me demande si je suis fière de moi et me dit que je peux l’être. Je ne le suis pas vraiment, je trouve cela simplement normal. Aujourd’hui, trois semaines après, je garde de cette nuit un souvenir magique, très intime, emprunt de beaucoup de douceur et de confiance. Malgré la douleur atroce.
Et même si elle n’a que quelques jours, j’ai l’impression que ma fille a toujours été là.